Magali
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Un chat et des souris

       - Papa! cria Magali en se précipitant dans ses bras. Polipilou est mort!

-Que dis-tu là, ma chérie? Ce n'est pas possible.

-Que se passe-t-il? demanda maman.

-Polipilou, il ne bouge plus. Il ne se réveille pas quand je le caresse. J'ai soulevé une de ses pattes, elle retombe.

Les parents se précipitèrent au salon. Le petit chat de notre amie gisait, couché sur le tapis.

- Regarde, dit papa. Il n'est pas mort. Il respire. Observe son ventre. Il bouge. En fait il dort très profondément. Il finira par se réveiller. Mais ce sommeil me semble anormal.

Magali se baissa et remarqua que deux croquettes pour chat restaient dans l'assiette de Polipilou. Elle en prit une et l'ouvrit doucement. Elle y découvrit des petits grains bleu-mauve mêlés au poisson et aux légumes.

-C'est quoi ça? dit-elle tout haut.

Elle en préleva quelques-uns et se précipita dans la chambre de son grand frère de huit ans.

-Dis, Arnaud, j'ai trouvé ceci dans les croquettes de Polipilou. C'est quoi, tu crois?

Le garçon ouvrit l'ordinateur familial et entama une recherche attentive.

-Voilà, dit-il. Ces boules bleu-mauve proviennent d'un petit arbre, un arbuste très décoratif, originaire d'Amérique. Mais on peut en trouver chez nous. Ça s'appelle du callicarpa. Regarde la photo. Si un animal en mange plusieurs, il s'endort.

-Bien vu! fit Magali. Je vais aller demander à mes amis s'ils en ont aperçu près d'ici. Quelqu'un cherche à endormir Polipilou. Je veux savoir qui.

 

Notre amie remercia son frère, puis sortit au jardin. Elle le traversa puis poussa à deux mains sur la barrière du fond. Elle s'arrêta sur la route qui longe le champ de blé. 

Pas de callicarpa en vue.

Magali appela trois fois son ami le gentil lapin.

-Gentil lapin!  Gentil lapin! Gentil lapin!

-Oui, dit-il en accourant. Que veux-tu?

-As-tu déjà vu des grains bleu-mauve comme ceux-ci?

-Non, répondit le gentil lapin, mais je te déconseille de les manger.

-Je ne vais certainement pas en manger, fit notre amie. Quelqu'un en a placé dans les croquettes de Polipilou.  Quelqu'un veut l'endormir.  Quelqu'un qui habite à un endroit où poussent ces plantes.

-Je n'en avais jamais vu, avoua le gentil lapin.  Bonne chance pour ta recherche.

 

Magali s'approcha de la rivière qui coule de l'autre côté du champ de blé. Là, dans un bel arbre, se trouve le nid de l'écureuil aux yeux très doux.

Elle l'appela trois fois.

-Écureuil aux yeux très doux! Écureuil aux yeux très doux! Écureuil aux yeux très doux!

-Oui...

-Tu sais où pousse la plante qui donne des petits fruits comme ceux-ci?

-Non. Je ne connais pas ces petits fruits. Je ne peux pas t'aider...

 

En contournant le champ de blé, la fillette passa près du trou au fond duquel se trouve le nid de la vieille souris. Elle l'appela.

-Vieille souris! Vieille souris! Vieille souris!

-Ah, c'est toi! Que veux-tu encore?

-Polipilou a mangé des graines bleu-mauve comme celles-ci. Il dort profondément. Sais-tu où ça pousse?

- C'est de sa faute, dit-elle.

-Arrête, lança Magali. Tu répètes toujours la même chose. Quelqu'un cherche à endormir mon chat et je veux trouver qui c'est.

-Je n'ai jamais vu ça. Mais demande à la jolie pie. Elle voit beaucoup de choses du haut de son arbre et elle est très curieuse. C'est de sa faute.

 

Magali s'approcha du grand arbre et appela la jolie pie trois fois.

-Jolie pie! Jolie pie! Jolie pie!

-Que veux-tu, petite fille?

-Je voudrais savoir où pousse un arbre avec des graines comme celles-ci.

-Je connais l'endroit où tu peux en trouver. Te souviens-tu de la maison cassée, abandonnée à la sortie du village? J'ai vu les mêmes boules bleu-mauve sur un arbre près de la porte.

-Merci, jolie pie.

 

Notre amie revint à la maison. Elle n'osait pas aller visiter cet endroit toute seule et elle avait raison. C'est dangereux.

Elle demanda à Arnaud de l'accompagner.

-D'accord, dit aussitôt le grand frère. On y va.


Ils passèrent dans la rue et suivirent le trottoir vers la sortie du village.

La maison cassée apparut en bien mauvais état. Plus de vitres aux fenêtres. Plus de porte. Des morceaux de briques jonchaient le sol partout. Ce n'était pas très rassurant.

Mais devant l'entrée poussait un magnifique arbuste. Un callicarpa, couvert de petites boules bleu-mauve. Les mêmes que celles que Magali avait découvertes dans les croquettes de Polipilou ce matin.

Les deux enfants entrèrent dans la maison en ruines. Ils ne virent rien d'intéressant.

Soudain, quatre ou cinq petites souris traversèrent la pièce puis disparurent derrière un mur.

Magali les appela.

Elles pointèrent leur nez avec prudence et s'approchèrent.

-C'est vous qui avez mis ces grains bleu-mauve dans les croquettes de mon chat?

-Oui! Parce qu'il est très méchant.

-Pourquoi dites-vous ça?

-Nous étions sept. Nous ne sommes plus que cinq. Il en a attrapé et mangé deux d'entre nous.

-Il ne faut pas dire qu'il est méchant, lança Arnaud. C'est dans sa nature de chat de poursuivre et de croquer des souris.

-Dites-lui de ne plus jamais revenir ici. Si on le revoit, on lui tendra un piège et il souffrira. On ne veut même plus le revoir sur le mur du jardin.

Nos deux amis retournèrent à la maison.

 

Polipilou commençait tout doucement à sortir de son sommeil. Il remuait un peu.

- Écoute, dit Magali, ne va plus jamais à la maison cassée. Les souris vont te tendre un piège si tu y retournes.

-Dommage, murmura le chat. On y trouve d'excellentes souris à croquer.

-Promets-moi.

-D'accord. Je te le promets.

 

Pourtant à la nuit tombée, Polipilou quitta la chambre de notre amie qui dormait et se rendit à la maison cassée.

Il paraît que la promesse d'un chat ne dure que jusqu'au coucher du soleil...

 

Le lendemain matin, Magali s'éveilla, bien étonnée de ne pas voir son petit chat couché sur son lit, comme il fait très souvent.

-Zut, dit-elle. Serait-il retourné à cette vilaine maison?

Elle l'appela.

-Polipilou!

Pas de réponse...

Elle regarda sous le lit, sous l'armoire, sur l'armoire. (Il adore se mettre sur ce poste d'observation.) Pas de chat.

Elle alla fouiller la chambre d'Arnaud, puis celle du bébé Julien, son petit frère. Rien. La chambre des parents. Rien. La salle de bain. Même la toilette. Toujours rien. Aucune trace de lui au salon, à la cuisine, dans l'escalier. (Il adore se coucher sur l'avant-dernière marche. On a déjà failli marcher sur lui...) Mais non.

-Arnaud, dit la fillette à son grand frère, viens avec moi à la maison cassée. Je pense que Polipilou y est retourné cette nuit, et il n'en est pas revenu.

Ils partirent en se donnant la main.

 

Ils entrèrent dans le bâtiment en ruines et écoutèrent. Ils entendirent des miaulements dans la pièce qui fut une cuisine autrefois.

Ils virent un trou dans le sol. Polipilou y tournait en rond, incapable d'en ressortir tout seul.

-Que s'est-il passé? demanda Magali.

Elle venait de se coucher à plat ventre dans la poussière et tendait les bras. Elle saisit les deux pattes avant de son chat et le sortit hors du trou.

-Je suis venu cette nuit, avoua le chat. J'ai vu une souris. Elle me regardait comme pour me dire : attaque-moi si tu oses. J'ai bondi vers elle, mais c'était un piège. Je suis tombé au fond de ce trou. Il est rempli de champignons bizarres qui m'engourdissent et je ne sais plus sauter pour sortir hors de ce trou.

-Je ne veux plus que tu reviennes ici, se fâcha notre amie. Si tu recommences, je demanderai à papa de t'attacher avec une laisse, ou bien je te mettrai dans une cage, avec un canari.

-Je croquerai le canari, dit Polipilou.

-Ne recommence pas!

-Si, pourtant, annonça le chat. Une dernière fois. Mais je vais d'abord avertir et rassembler tous les chats du village.

 

Au milieu de l'après-midi, Magali vit plein de chats dans le jardin. Des noirs des blancs, des bruns, des gris. Des gros, des maigres. Des beaux, des moins beaux. Ça miaulait à qui mieux mieux.

Notre amie regarda un moment par la fenêtre de la cuisine. 

Polipilou venait de monter sur une chaise du jardin. Il semblait leur parler à tous.

Puis ils partirent, en rang de deux ou trois. Bien décidés à attaquer les souris.

 

Polipilou revint une heure plus tard.

-Alors, demanda Magali. Comment s'est passée la bataille?

-Il n'y a pas eu de bataille.

-Pourquoi?

- Les souris n'étaient plus là. Elles ont disparu. Elles nous ont entendus arriver et se sont sauvées.

On ne les a jamais revues...