Noël - Pâques - Saint Nicolas
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Le Garçon qui pleurait

     -Ouf ! dit Christine. Fini.

Elle plia le papier sur lequel elle venait d'écrire une longue lettre sur sa table dans sa chambre. Elle la glissa dans une enveloppe et se dirigea vers son père.

-Papa, je te confie ceci pour Saint Nicolas.

-Une lettre pour Saint Nicolas?

-Oui, je lui écris pour qu'il sache ce que je voudrais recevoir le jour de sa fête. Tu veux bien te charger de l'envoyer?

Papa regarda sa fille, très étonné.

-Euh, oui, si tu veux.

Et la jeune fille sortit.

Le papa ouvrit la lettre, en présence de la maman, et lut. Christine ne demandait pas une poupée, ni de nouveaux vêtements, ni des jeux. Elle voulait un petit frère, un petit frère d'environ quatre ou cinq ans si possible.

Les parents se regardèrent, en silence.


En début d'après-midi, la maman demanda à notre amie d'aller jusqu'au village, afin d'effectuer quelques achats indispensables. Elle lui confia un sac vide et de l'argent.

-Tu peux t'acheter ce que tu veux avec la monnaie, dit-elle.

Christine, toujours volontaire pour bouger, monta sur son vélo et partit avec la petite liste de commissions.

Souviens-toi que notre amie de dix ans tout juste habite dans une grande forêt. Elle ne va pas à l'école, sauf en juin, pour passer ses examens. Elle étudie avec sa maman. Parfois aussi, elle aide son papa, bûcheron, en travaillant avec lui au milieu des bois. Elle n'a ni frère, ni sœur, et le regrette. Et puis elle possède ce don de parler à certains animaux et de les comprendre.

Après avoir roulé pendant près de deux heures sur un chemin particulièrement mauvais, rendu boueux par les pluies des jours précédents, elle arriva en vue du village.

Là, au lieu de suivre, comme d'habitude, la route du bas, elle choisit d'emprunter le chemin du haut d'où l'on a une très jolie vue sur la courbe de la rivière, les villas et les environs.

Il faisait très beau et fort chaud. Christine portait sa vieille salopette en jean, bien usée, et des sandales de gymnastique plus très blanches. Ses longues tresses brunes encadraient son visage souriant.

Elle longeait un mur de briques rouges, cachant sans doute une belle propriété, quand elle entendit quelqu'un pleurer, de l'autre côté.

Elle s'arrêta un instant, mettant pied à terre. Puis, intriguée, un peu triste, elle posa son vélo sur le sol. Elle franchit, en sautant, un petit fossé et s'accrocha au mur, afin d'y grimper et de regarder par-dessus ce qui se passait. Sitôt assise tout en haut à califourchon, elle aperçut, appuyé contre les briques, à l'intérieur de la propriété, un garçon qui semblait avoir quatre ou cinq ans, et qui pleurait à chaudes larmes.

Il était assis au soleil, torse nu, en short et pieds nus. Il tenait un ballon rouge entre ses mains. Un peu plus loin, s'élevait une grosse maison peinte en blanc.

-Pourquoi pleures-tu ? demanda notre amie.

Le garçon se dressa d'un bond, regarda la fillette et s'encourut vers la maison.

-Zut, se dit-elle. Je lui fais peur.

Elle sauta du mur, repassa le fossé, prit son vélo et se dirigea vers le magasin du village.


Au retour, Christine revint au même endroit, par curiosité, mais surtout, elle voulait en savoir plus, par générosité.

Elle longea le mur de brique et entendit à nouveau le garçon qui pleurait.

Elle posa son vélo dans l'herbe haute et enjamba le fossé. Elle grimpa sur le mur. Cette fois-ci, plus prudente et plus silencieuse, elle choisit de sauter tout près de l'enfant, et de tenter de le consoler.

Le petit garçon, un instant effrayé, se leva. Puis, écoutant les paroles rassurantes de notre amie, il s'assit à nouveau dans l'herbe.

Christine avait trois bonbons dans la poche bavette de sa salopette. Souviens-toi qu'en lui confiant la liste des courses et l'argent, sa mère lui avait permis de s'acheter ce qu'elle voulait avec la monnaie. Elle avait choisi trois grosses sucettes à la cerise. Elle glissa la main dans sa poche, et lui en tendit une, se promettant de lui offrir les autres ensuite.

Il la prit avec plaisir et la déballa.

-Comment t'appelles-tu ? demanda la fillette.

-Damien. Et toi ?

-Christine.

-Merci, fit Damien en séchant ses larmes. Tu es gentille.

-Et toi, je te trouve mignon comme tout. Pourquoi tu pleures ?

-Je pleure parce que je suis triste, répondit le petit garçon.

-Pourquoi ce chagrin, Damien ?

-Je suis triste, parce que ma maman est morte.

Oh, mon Dieu, songea notre amie. Elle posa sa main sur l'épaule du petit bonhomme. Que lui dire?

-C'est arrivé quand?

-Il y a un an. Puis mon papa, très souvent parti en voyage, s'est remarié. Ma nouvelle maman ne vient jamais jouer avec moi. Je reste ici tout seul, chaque fois.

-Tu veux qu'on joue au ballon tous les deux ?

-Oui, fit le petit garçon. Je m'amusais toujours ici, le long du mur, avec ma gentille maman.

La jeune fille échangea quelques balles avec lui. Un moment le gamin courut derrière son ballon et notre amie remarqua une grande ecchymose bleue à la hauteur de son omoplate.

-Qu'as-tu sur ton dos ? On dirait des bleus. Tu es tombé ?

-Non, gémit Damien, entre deux larmes. Ma nouvelle maman m'a frappé.

-Elle te fait cela souvent?

-Oui.

-Elle te frappe ? répéta Christine abasourdie. Elle te bat si fort ? On ne peut pas faire ça aux enfants. Mon Dieu, murmura notre amie, cela ne peut pas continuer ainsi.

À ce moment-là, de la maison, retentit une voix suraiguë et agressive.

-Damien ! Viens immédiatement ici. Dépêche-toi.

-Il faut que j'y aille. Tu reviendras ?

-Je te le jure, promit Christine. Tiens, prends encore ces deux sucettes.

Elle lui donna un petit bisou, puis longeant le mur, elle parvint aux grilles d'entrée de la propriété et sortit. Elle retrouva son vélo et reprit le chemin de la maison.


Elle pensa encore et encore au petit garçon. Toute la journée. Au soir, elle en parla à son hibou, Chachou. Je te rappelle que notre amie a le don de parler à certains animaux et de les comprendre. Chachou, son plus ancien ami aida la fillette à utiliser son don extraordinaire à l'âge de deux ou trois ans.

Chachou expliqua à Christine qu'il connaissait bien cette maison, parce que derrière, il y avait un château. Un château fort, avec des tours, et plein de souris à manger dans les caves.

Notre amie s'étonna. Elle n'avait pas aperçu ce bâtiment. Elle songea que la prochaine fois elle proposerait à Damien de le lui montrer.

Le lendemain, elle travailla avec son papa toute la journée, ramassant les bûches, les rangeant le long du chemin, ou en chargeant certaines sur une remorque pour un client pressé. Un travail dur, en plein soleil, parfois sous la pluie, mais elle sait qu'ils ne sont pas riches chez elle et elle comprend qu'elle doit parfois apporter son aide avec courage.


Deux jours plus tard, elle put retourner au village, d'autant plus que les parents lui demandaient encore une fois de faire quelques achats pour eux. Elle suivit donc le long chemin qui mène au hameau, fit les emplettes et remonta par la route du haut.

Elle posa son vélo, bien caché dans les fourrés, tout près de la maison du gamin. De l'autre côté, le petit garçon appuyé contre les briques rouges, pleurait encore. La jeune fille escalada le mur, l'enjamba et sauta près de Damien qui, cette fois-ci, ne se saisit pas.

-Tu pleures encore, murmura Christine.

-Je jouais tous les jours ici avec ma maman. Je l'aimais bien, ajouta-t-il entre deux sanglots.

Notre amie sentit deux larmes couler sur ses joues en l'entendant, mais elle se maîtrisa.

-Derrière la maison, il y a un château fort ?

-Oui, affirma Damien. Mais je ne peux pas y aller.

-On peut s'approcher pour le voir ?

-Oui, je vais te montrer. Viens ! Et puis, peut-être qu'avec toi, je pourrai m'y promener. J'aimerais bien. J'y allais souvent avec ma gentille maman. On y jouait à cache-cache.

Ils contournèrent l'énorme villa et à l'arrière, Christine remarqua les ruines d'une sombre et sinistre bâtisse. Deux tours grises, une à gauche et une à droite flanquaient une énorme porte fermée par trois gros verrous épais comme un bras.

La jeune fille les fit glisser et ouvrit.

Derrière se dressait une lourde et ancienne construction. Notre amie, toujours curieuse, entra dans la cour du château. Deux arbres l'ombrageaient.

Le bâtiment principal comportait une cave. On y parvenait en descendant une série de marches usées. Le rez-de-chaussée, vide et froid lui aussi, consistait en une grande salle dallée, ornée d'une cheminée monumentale.

Les poutres rugueuses du plancher du premier étage, sans doute très anciennes, servaient de plafond au rez-de-chaussée. Le second étage, tout à fait en ruine, n'avait plus de toit.

Elle se trouvait là-haut avec le garçon lorsqu'ils entendirent la voix de la marâtre.

-Damien ! Où es-tu ? Damien !

-Mon Dieu, s'inquiéta le gamin, ma nouvelle maman semble très en colère.

Christine et son petit copain descendirent l'escalier. La femme aperçut Damien. Peut-être vit-elle Christine, peut-être pas. Elle criait.

-Tu traînes encore au château, et bien, restes-y.

Elle poussa la lourde porte et fit glisser les trois verrous.

-Madame, appela la jeune fille, vous ne pouvez pas nous enfermer ainsi !

La belle-mère du garçon entendit-elle ou n'entendit-elle pas ? Les deux enfants restèrent prisonniers dans le vieux château du Moyen Âge.


Damien recommença à pleurer. Christine s'agenouilla devant lui, pour se mettre à sa hauteur, tenta de sécher ses larmes, puis lui expliqua que son père lui dit souvent que, quand on est dans une situation difficile, on peut pleurer un peu, ça soulage de pleurer un peu, mais après, il faut réfléchir et se débrouiller pour s'en sortir.

-Toi, tu es grande. Tu vas réussir à partir et moi, je vais rester ici tout seul.

-Écoute-moi, Damien, répondit notre amie. Je rêve d'avoir un petit frère comme toi et si j'en avais un, je ne l'abandonnerais jamais derrière moi. On sort d'ici tous les deux, ou je reste avec toi. Maintenant, viens, on cherche une sortie.

La jeune fille visita d'abord les deux tours, qui se trouvaient à gauche et à droite de l'entrée. Elle savait qu'elle ne pouvait pas ouvrir la porte principale, même avec son canif. Les deux tours, malheureusement, ne comportaient pas d'issue, car les seules fenêtres, des meurtrières par où, dans le temps, les archers tiraient des flèches, étaient bien trop étroites pour pouvoir se faufiler par là.

Elle inspecta ensuite la cour et les hauts murs de pierres qui l'entouraient. Monter là-dessus paraissait dangereux. Elle revisita le corps de bâtiment mais celui-ci, au premier étage, comme au deuxième, ne possédait aucune fenêtre.

Décidément, ils se trouvaient bel et bien prisonniers. La chaleur devenait insupportable. Il devait être près de trois heures de l'après-midi. Christine avait grignoté un sandwich emporté avec elle à midi. Elle sentit qu'elle avait faim. Elle se tourna vers Damien. Il était trop angoissé et ne ressentait pas sa faim. Il ne pensait qu'à sa peur.

-Ne crains rien. Elle ne va pas nous laisser longtemps ici, encouragea la fillette.

-Je n'en sais rien, gémit Damien. C'est pas certain.

Le temps passa lentement. Personne ne vint les voir.


Vers le milieu de l'après-midi, des nuages épais et noirs couvrirent le ciel, et bientôt, un violent orage éclata, avec foudre et éclairs.

En quelques instants, tout fut détrempé. Les deux enfants également. Comme Damien grelottait, tout mouillé sous la pluie, Christine enleva son t-shirt et le passa au petit garçon toujours torse nu. Il avait un peu plus chaud à présent mais la jeune fille, maintenant frissonnait sous la douche froide. Elle songea qu'une vraie grande sœur protège et même se sacrifie pour son petit frère.

En observant encore et encore autour d'elle, elle aperçut deux barres de fer perpendiculaires au mur de la cour. Notre amie évalua qu'elle pourrait s'y accrocher, atteindre le haut de l'enceinte et appeler à l'aide.

Christine réussit à saisir la première barre et à s'y rétablir. Se calant contre le mur de pierre, dressée sur la pointe des pieds, heureusement chaussés de petites sandales de gym, elle empoigna la seconde barre de fer. Tout cela sous la pluie battante. Hélas, la barre descellée bougea. Notre amie se déséquilibra et tomba dans la cour, déchirant au passage la jambe droite de sa salopette, de la cheville jusqu'au genou. Elle se fit une longue estafilade qui saignait. Damien se remit à pleurer.

-Pourquoi ces larmes? demanda-t-elle.

-Parce que tu as mal...

-Tu es trop gentil, petit garçon, dit-elle en le consolant. Ça ne me fait pas si mal, tu sais.

Elle se redressa et se demanda avec angoisse comment sortir de cet endroit. En plus, si notre amie ne se mettait pas en route rapidement, elle ne serait pas revenue chez elle avant le coucher du soleil. Or, ses parents veulent toujours qu'elle rentre avant la tombée de la nuit.

Il pleuvait à verse. L'orage, violent, déversait des trombes d'eau froide qui formaient de grandes flaques d'eau partout. Les deux enfants grelottaient dans leurs vêtements mouillés.


Christine remarqua que l'eau de la cour s'écoulait par un escalier étroit vers une cave sombre. Elle descendit lentement les marches et Damien, trop impressionné pour rester seul, lui donna la main.

Ils arrivèrent dans une assez grande crypte sombre. Au milieu de celle-ci, se trouvait une dalle munie d'un anneau. Et l'eau s'écoulait par des fentes vers la profondeur. Notre amie conclut que, qui sait, peut-être un passage ou un souterrain existait là-dessous et menait aux douves.

Elle tenta de soulever la trappe, hélas beaucoup trop lourde. Elle bougea à peine. Alors, se rappelant avoir vu un jour son papa à l'œuvre, elle alla chercher la barre de fer descellée tantôt et qui traînait dans la cour. Elle la glissa dans l'anneau et s'en servant comme d'un levier, et aidée par Damien, ils parvinrent à lever la dalle et à la poser sur le côté.

L'ouverture donnait dans un puits qui plongeait dans l'obscurité totale. Damien frissonna de froid autant que de peur. Une échelle en fer rouillée s'enfonçait dans la pénombre.

-On y va, décida notre amie.


Elle aida Damien à bien poser ses pieds sur les échelons. Ils descendirent lentement au rythme du petit garçon. Au fond, ils découvrirent un souterrain. Ils y eurent de la boue jusqu'aux chevilles.

-Viens, fit Christine, qui donnait la main au petit. On va explorer et voir si on peut sortir par là.

Il ne faisait pas tout à fait noir. Quelques lichens poussaient sur les murs et sur le plafond de ce corridor étroit. Des lichens phosphorescents. Ils dégageaient un peu de lumière. Dans la demi-obscurité où se trouvaient les deux enfants, cette clarté suffisait pour ne pas tomber et pour savoir où ils allaient.

Pataugeant dans la boue, et frissonnant de froid, surtout Christine, ils arrivèrent devant une première porte fermée, mais pas à clé. Ils l'ouvrirent doucement, et entrèrent dans une vaste salle souterraine du château, invisible de l'extérieur.

Dans cette salle se trouvait une grande armoire sombre. Lorsque notre amie tenta d'en ouvrir les tiroirs ou les portes, elle sentit que tout se décomposait. L'armoire semblait totalement pourrie. Dégoûtée, elle recula et se dirigea vers la porte qui séparait la première salle de la deuxième.

Là, poussaient d'énormes champignons au sol et sur les murs. Un liquide gluant et jaunâtre en sortait. En plus, ça dégageait une odeur épouvantable.

Christine avança avec précaution. Après trois pas, elle prit le petit Damien sur son dos. Elle passa entre les champignons, pataugeant dans la boue.

La troisième porte résista mais finit pas céder. Une cave sèche cette fois-ci, mais avec des toiles d'araignées partout.

Notre amie posa le garçon au sol. Il se colla contre elle. Il la serrait et avec sa main, il pinçait la salopette de la grande fille pour être sûr de ne pas la lâcher.

La jeune fille avança doucement. Elle aperçut soudain une énorme araignée qui venait vers elle dans la pénombre.

-Remonte sur mon dos, Damien.

Ils reculèrent, puis Christine, remarquant quelques pavés empilés contre un mur, en ramassa un. Elle avança vers l'araignée et le lança de toutes ses forces. Mais l'araignée bougea et notre amie rata son coup.

La bête revenait vers elle. Alors, serrant très fort le petit garçon et se protégeant la tête, elle courut à travers la cave. Ils parvinrent à la porte suivante, qu'ils ouvrirent puis refermèrent derrière eux rapidement.

Christine eut le courage de vérifier d'abord qu'aucune araignée n'était montée sur son petit compagnon. Elle regarda ses cheveux, son dos, son ventre. Rien. Elle se tâta elle-même et ne découvrit rien non plus. La grande sœur courageuse avait bien protégé « le petit frère ».

La salle dans laquelle ils se trouvaient à présent, assez grande et toute en longueur, semblait un rien plus sombre encore que les précédentes. Ils découvrirent, tout au bout de la galerie, un escalier accroché le long du mur. Il menait vers l'étage supérieur. Ils s'y précipitèrent pleins d'espoirs. Malheureusement, le plafond était scellé par d'énormes dalles. Aucune chance de les faire bouger.

Une voie sans issue. Il n'y avait aucune porte. C'était vraiment désespérant.


-Je me demande par où nous allons pouvoir sortir d'ici, avoua notre amie.

Puis, tandis qu'elle réfléchissait, elle sentit un courant d'air froid sur elle. 

Ce vent provient de quelque part, songea la jeune fille. Il doit y avoir une fissure, un trou dans un mur, ici ou là et qui s'ouvre à l'extérieur, se dit-elle.

La cave où ils se trouvaient, comportait une grande série de niches. Des niches comme certaines personnes ont dans leur cave. Ils y rangent leurs bouteilles de vin. Christine fouilla chacune d'entre elles, à tâtons, avec ses mains, espérant trouver quelque chose qui l'aiderait. Peut-être l'une d'entre elles révèlerait un passage.

On n'entendait rien : ni le bruit de la pluie, ni celui de l'orage. Damien, raide de peur au milieu de la pièce, attendait que notre amie finisse son inspection.

Un miaulement déchira le silence.

La jeune fille, surprise, recula. Dans une des niches, un chat observait les deux enfants. Christine s'en approcha et comme elle sait parler aux animaux, tu le sais, elle conversa avec le chat.

Il lui affirma qu'il connaissait le moyen de sortir. Il montra un petit espace, une fente dans le mur, trop étroite hélas pour pouvoir s'y glisser. Le chat, lui, s'y faufilait tout juste. Notre amie aperçut l'extérieur du château par cette anfractuosité. Parfois la lumière d'un éclair emplissait l'espace et dessinait le paysage d'herbes et de fleurs, noyé de pluie.


Christine saisit une pierre pointue et se mit à frapper sur les briques de toutes ses forces pour les casser et élargir le boyau.

Cela prit beaucoup de temps et fut très difficile, épuisant même. Le gamin aida de son mieux, ramassant les petits éclats et les morceaux de briques qui se détachaient sous les coups de son amie. La jeune fille, couchée à plat ventre dans cette niche, travaillait dur. Après une heure, le passage devint assez large pour leur permettre de se faufiler par cette ouverture.

-Damien, on va sortir par là. Nous allons probablement tomber dans les douves du château, c'est-à-dire les fossés qui entourent les murs, à l'extérieur de la propriété. Tu veux aller devant ou je passe la première ?

Le garçon hésita.

-J'y vais. Je passe la première, décida notre amie. Regarde bien, tu feras comme moi. Je vais descendre dans les douves. J'espère que ce n'est pas trop profond. Puis je t'appellerai. Tu sauteras dans mes bras. Compris ? N'aie pas peur. Courage.

Christine se coucha et rampa en arrière. Elle sortit les pieds puis le ventre et enfin, elle s'accrocha avec les mains. Elle se laissa tomber et atterrit dans la douve remplie d'eau boueuse à cause de l'orage.

Elle se redressa. La vase lui venait jusqu'aux genoux. Elle appela Damien.

-Allez, viens, saute. Tu seras dans la boue mais tant pis, tu te laveras plus tard.

Le gamin sauta. Elle le reçut dans les bras mais son poids la déséquilibra et ils tombèrent dans la boue. Tous deux sortirent de là dégoulinant d'eau sale et nauséabonde. Le petit garçon ne pleurait pas. Ils éclatèrent de rire en se regardant boueux de la tête aux pieds, mais libres.

Ils contournèrent le château, et Christine retrouva sa bicyclette. Prenant son vélo d'une main et Damien de l'autre, elle s'enfonça dans la forêt avec le petit garçon.

Quand elle arriva chez elle, la nuit était déjà tombée. Les parents virent arriver leur fille toute sale, trempée, grelottant de froid. Damien avançait, titubant à côté d'elle. 

Pendant qu'ils lavaient le petit garçon, le papa et la maman de notre amie remarquèrent eux aussi les bleus sur son corps et s'indignèrent.


Christine raconta toute son aventure. Les parents de notre amie téléphonèrent à la gendarmerie. Une patrouille se rendit chez la marâtre de Damien qui se moquait bien de savoir si son petit garçon n'était pas en train de mourir de peur, ou de froid, ou de faim dans le château.

Cette méchante femme fut conduite au tribunal et inculpée de coups et blessures volontaires. Elle se retrouva en prison et ne put plus s'occuper de Damien. Comme le papa, trop souvent absent, continuerait de voyager, une cousine lointaine, charmante personne, décida de l'adopter. Elle se prépara à accueillir le petit bonhomme.

En attendant cette échéance, Notre amie proposa au juge de garder le garçon chez elle quelques jours. Ses parents acceptèrent. Comme leur maison n'est pas grande, on installa un lit de camp à côté de celui de la jeune fille. Ce soir-là, Damien, après avoir pris sa douche et un bon repas, put aller se coucher. Il s'endormit aussitôt. Telle une bonne grande sœur, Christine le borda et veilla sur son sommeil.

Lorsque le hibou Chachou arriva sur l'appui de fenêtre, et qu'il vit Damien, il le regarda avec tendresse. Puis notre amie lui dit, assez fort pour que ses parents entendent :

-J'ai un petit frère pour quelques jours, j'ai un petit frère pour quelques jours ! Merci, Saint Nicolas !

Tu vois, rien n'est impossible à Saint Nicolas.