Charlotte
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Le Fantôme

     L'horloge du château sonna douze fois. Charlotte dormait dans son grand lit, dans sa jolie chambre. Tout était silencieux, au milieu de la nuit.

Tout à coup, elle entendit : "Toc,toc,toc". Elle s'éveilla, ouvrit les yeux et se tourna vers la porte.

-Entre.

Elle attendit, mais personne n'entra.

-Tiens, que se passe-t-il ? se demanda la fillette. Est-ce un  rêve ? 

Elle écouta encore un moment le silence et puis elle se tourna sur son autre côté, serra très fort son lapin en peluche qu'elle tenait dans ses bras, et tâcha de se rendormir.

-"Toc,toc,toc ".

Charlotte sursauta.

-Mais entre, cria-t-elle.

De nouveau, personne ne vint. Notre amie se leva. Elle portait une jolie robe de nuit blanche, avec des petits pois mauves. Elle était pieds nus. Elle ouvrit la porte. Il n'y avait personne dans le couloir tout noir.

-Tiens, réfléchit-elle, qui a frappé à ma porte ? Je n'ai pourtant pas rêvé.

Elle referma, alla à la fenêtre et se pencha. Dans un coin de la cour, elle aperçut le gros éléphant, qui dormait. Dans un autre, elle vit la grande girafe, qui sommeillait. Dans une fissure du mur, entre deux briques, elle remarqua la petite fourmi, qui se reposait. Tout au sommet du donjon, elle découvrit la jolie pie, qui fermait les yeux. Et venu de plus loin, le long de la haie du jardin du château, elle entendit le bourdonnement des mille abeilles. Elles ne dormaient pas toutes. Quelques-unes voltigeaient.

Charlotte songea qu'aucun d'entre eux n'avait frappé à sa porte. Mais alors qui ?

 

Elle se leva, prit la poignée en main et attendit en silence.

"Toc,toc,toc."

Notre amie ouvrit la porte brutalement mais elle ne vit personne dans le couloir.

-Qui va là ? demanda la fillette.

-Je suis le fantôme du château.

-Je ne te vois pas, fit Charlotte. Approche, tu ne me fais pas peur.

-C'est bien ça le problème, répondit le fantôme. Je ne fais peur à personne car on ne me voit pas.

-Trop drôle, lança la fillette en riant. Invisible! Invisible! Si tu entrais dans ma chambre?

-D'accord.

Le fantôme passa la porte. Notre amie tâcha de l'apercevoir dans la lueur de la lune, mais elle ne le vit pas.

-Je suis ici, derrière toi.

-Ah bon, soupira Charlotte. D'abord, je veux te dire merci. Grâce à toi, je vis au château avec ma famille. Je ne suis plus pauvre. On ne se moque plus de moi. Mille fois mille mercis. Et puis, j'ai peut-être une solution pour toi.

-J'aimerais bien, se réjouit l'être invisible.

-Ne bouge pas.

Elle ouvrit un tiroir et en sortit un t-shirt blanc. Elle le passa autour du corps du fantôme.

-Voilà, dit-elle. Maintenant, on te voit.

-On voit plutôt le t-shirt.

C'était comique et désolant à la fois, car dans la chambre de Charlotte, on distinguait à présent un t-shirt qui flottait de gauche à droite et de haut en bas quand le fantôme changeait de place. Mais, bien entendu, on ne l'apercevait toujours pas. C'était vexant. Notre amie lui enleva le vêtement.

-Il faudrait te peindre, pour que tu apparaisses, proposa la fillette.

-Bonne idée, accepta le fantôme. Tu aurais le cran de le faire ? Tu oserais ?

-Oui, pourquoi pas? J'ai bien osé ouvrir la porte et te mettre le t-shirt. D'ailleurs, si tu veux, j'ai des aquarelles et des marqueurs.

-Non, expliqua le fantôme, il faut des couleurs spéciales. Tu dois trouver de la peinture à fantômes.

-Ah bon, s'étonna Charlotte, ça existe ? Où en trouve-t-on?

-Dans la tour noire du château.

-Elle me fait peur, murmura notre amie.

-C'est pourtant le seul endroit possible. Tout en bas, dans les caves. Mais ce ne sera pas facile, prévint le fantôme. Y es-tu déjà allée?

-Non, je ne l'ai pas encore visitée.

-Je t'explique. Quand tu entreras dans la tour noire, tu découvriras un escalier en colimaçon. Après avoir descendu septante-sept marches, tu arriveras devant une porte. Tu l'ouvriras et tu seras devant un second escalier de septante-sept marches lui aussi. Il te mènera tout en bas, dans les profondeurs du château vers une seconde porte. Derrière elle se trouve un couloir. Ce couloir se divise en deux passages, un à gauche et un à droite. Au bout de l'un des deux, sont rangées les peintures à fantômes, dans une armoire fermée. Il faut posséder la clé pour l'ouvrir. Au fond de l'autre se trouve la chambre de la sorcière.

-Oh! s'inquiéta Charlotte.

-Cette sorcière détient la clé de la porte de l'armoire aux peintures.

-Mon Dieu, trembla notre amie, cela donne la frousse.

-Oui, je sais bien, soupira le fantôme. Jusqu'ici, personne n'a osé aller chercher ce qu'il faut pour me peindre.

-Je veux bien essayer d'être courageuse, promit la fillette, car toi tu es tellement gentil ! Grâce à toi, j'habite dans un château et plus personne ne se moque de moi en disant : "Lolotte, elle a des loques, Lolotte, elle est idiote". Oui, je vais être courageuse et aller chercher ta peinture à fantômes demain matin, avec mon papa.

-Impossible!

-Pourquoi ? s'étonna Charlotte.

-Tu ne peux pas aller dans la matinée. Tu dois obligatoirement t'y rendre entre minuit et une heure du matin, car à une heure du matin, moi, je dois disparaître.

-Ah bon. Alors, si je comprends bien, il faut y aller tout de suite.

-Oui, répondit le fantôme. Tout de suite.

-Attends, commanda la fillette. J'appelle d'abord mes amis.

Elle sortit de sa chambre pieds nus, dans sa robe de nuit blanche à petits pois mauves. Elle descendit les grands escaliers du château et arriva dans la cour. Là, elle éveilla la grande girafe, le gros éléphant, la petite fourmi, la jolie pie et les mille abeilles.


Ils s'approchèrent tous ensemble de la tour noire. Elle était haute et menaçante. Oui, vraiment hideuse et effrayante.

Charlotte la regarda, le cœur battant. Tout y semblait silencieux et noir. Elle observa une porte au pied de la tour. Elle tenta de l'ouvrir. Elle la poussa puis la tira, mais elle ne réussit même pas à l'entrebâiller.

-Bouge-toi, fit l'éléphant, je vais arranger cela.

Le gros animal recula jusqu'au bout de la cour, puis demanda aux autres de se mettre sur le côté. Il s'élança de toutes ses forces et se jeta contre la porte qui vola aussitôt en éclats.

-Oh, gémit l'éléphant, cela fait mal. Comme ça fait mal !

En effet, la pauvre bête croyait que là derrière se trouverait l'entrée de la tour, mais c'était une fausse porte. Il n'y avait qu'un mur de pierres. La porte avait volé en éclats, mais il n'était pas possible d'entrer dans la tour noire par ce côté-là.


Charlotte regarda vers le haut. Elle aperçut une petite fenêtre. Elle était ouverte. Mais comment y parvenir sans échelle?

-Viens, proposa la grande girafe, je vais t'aider.

Elle saisit la fillette entre les dents, par la robe de nuit, et la hissa jusqu'à hauteur de la fenêtre. On aurait cru une grue soulevant notre amie. Elle n'eut qu'à sauter pour se trouver dans la chambre du haut de la tour noire du château.

-Malheureusement, annonça le gros éléphant, je ne peux pas t'accompagner par là, c'est trop haut.

-Moi non plus, expliqua la girafe. Je ne vois pas comment je réussirais à grimper là-haut. On va t'attendre ici.

-Moi, je viens, déclara la fourmi. Je monte le long du mur.

-Moi aussi, s'engagea la jolie pie. Je vole à ton secours.

-Nous aussi, décidèrent les mille abeilles. Nous te suivons.


Charlotte entreprit la descente de l'escalier en colimaçon. Elle regrettait d'être restée pieds nus parce que les marches étaient froides, humides et couvertes de mousse à certains endroits. C'était glissant. Plus elle descendait, plus il faisait noir et plus cela sentait mauvais.

Après avoir emprunté septante-sept marches, notre amie s'arrêta un instant devant une porte en bois. Elle l'ouvrit facilement en tournant la poignée et découvrit le second escalier.

Ici, on sentait une odeur épouvantable. Des centaines de champignons poussaient le long des murs. Certains d'entre eux répandaient une gelée gluante. Le sol glissait. Ça ressemblait à de la bave de crapaud ou à du jus de limace. Ça collait sous les pieds nus de notre courageuse amie.

Charlotte faillit faire demi-tour, mais maintenant qu'elle s'était aventurée jusque-là, il était trop tard pour reculer. Il fallait continuer. Ça sentait de plus en plus mauvais. L'odeur venait de la sorcière. Elles ne se lavent qu'une fois tous les quatre ans, et cette sorcière-là ne s'était plus lavée depuis trois ans et demi. Elle dégageait une puanteur épouvantable.

Enfin, la fillette, grelottant de froid et de peur, les pieds poisseux de crasse, arriva devant la seconde porte. Elle l'ouvrit tout doucement et regarda. Elle aperçut un couloir sombre. Il allait bien droit puis se divisait en deux passages presque tout noirs.

Charlotte avança doucement. Elle pataugeait maintenant dans la boue et la vase. Elle en eut jusqu'aux chevilles à certains endroits. Elle était toujours accompagnée bien sûr, non pas par la grande girafe, ni du gros éléphant, qui n'avaient pas pu entrer par la fenêtre, mais par la petite fourmi, la jolie pie, les mille abeilles et le fantôme invisible, bien entendu.


Notre amie parvint à l'embranchement. L'endroit était gluant et moisi. Elle hésita. Quel passage fallait-il emprunter? Le gauche ou le droit ? Elle n'en savait rien.

-Attends, suggéra la petite fourmi. Reste ici. Je vais aller voir.

Elle disparut d'un côté, revint, puis repartit de l'autre un moment après. Enfin elle reparut. Elle expliqua ce qu'elle avait découvert.

-Au fond du couloir, à droite, se trouve la sorcière. Elle dort dans son lit. Et par terre, j'ai vu la clé dont tu as besoin pour ouvrir l'armoire aux peintures à fantôme. Sa main l'a laissée tomber sur un tapis sale. De l'autre côté, ajouta la fourmi, c'est l'armoire tant désirée.

-Merci, petite fourmi, chuchota la fillette. J'y vais.

 

Charlotte, rassemblant tout son courage, s'avança dans le couloir qui menait à la chambre de la sorcière. Elle l'ouvrit en ne faisant quasiment aucun grincement.

Elle entendit :"-rrr, rrr, rrr". Les ronflements de la vieille femme.

La fillette s'approcha du lit sans aucun bruit, puisqu'elle était pieds nus. Elle vit que des toiles d'araignée recouvraient les cheveux de la vieille femme. Sa lèvre inférieure descendait presque jusqu'à sa poitrine. De gros boutons jaunes et noirs couvraient sa peau à certains endroits. Sa main, presque verte, pendait vers le sol. Et là, tombée à terre, se trouvait une petite clé en or.

Notre amie se baissa, pinça la clé entre son pouce et son index.

À ce moment-là, "rrr, rrr, rrr", la sorcière remua et se tourna de l'autre côté.

La fillette faillit pousser un cri de terreur, mais elle fut très courageuse. Elle se domina et attendit que tout soit à nouveau calme. Elle fit alors demi-tour et retourna au croisement des deux couloirs, où l'attendaient ses amis.


Charlotte s'apprêta à suivre l'autre passage, un peu plus long. Il menait à un grand meuble, une haute armoire noire. Il y avait des toiles d'araignée partout.

-C'est là que les peintures sont rangées, affirma le fantôme. Fais vite, parce que le temps passe et il sera bientôt une heure du matin.

-Oui, murmura la fillette.

-Je reste ici, au croisement des souterrains, proposa la jolie pie. Je fais le guet. Je surveille. Si la sorcière se réveille et vient de ce côté, je volerai pour t' avertir.

-Merci, sourit notre amie.

Suivie par les mille abeilles, elle entra dans le couloir qui menait à la grande armoire. Elle l'ouvrit avec la clé d'or et découvrit une collection de pots de peinture. Il y avait du blanc, du noir, du rouge, du bleu, du jaune et du vert.

-Quelle peinture aimerais-tu ? Si je te mettais du blanc ?

-Non, supplia le fantôme. Tous les fantômes sont en blanc. Je n'ai pas envie d'être un fantôme comme les autres.

-Alors, je vais te peindre en noir, proposa Charlotte.

-Tu ne peux pas me peindre en noir. Je ne sors que la nuit. On ne me verra pas.

-Oui, tu as raison, admit la fillette. Quelle couleur allons-nous choisir ? Le jaune, le bleu, le rouge ou le vert ?

-C'est à toi de décider, dit le fantôme.

Charlotte réfléchit. Elle prit le pot de jaune et peignit son fantôme.

Elle avait presque fini, il ne restait plus que les pieds du fantôme à terminer quand la pie arriva en criant.

-La sorcière est réveillée, la sorcière est réveillée !

Il fallait finir le travail.

-Ne t'inquiète pas, dirent les mille abeilles. Nous allons créer un mur en nous plaçant les unes à côté des autres. Vingt-cinq rangs serrés de quarante abeilles. Quand la sorcière arrivera, elle ne nous verra pas et nous lui ferons très peur.

 -Oh merci! s'écria Charlotte, merci!

Elle termina le dernier orteil du deuxième pied du fantôme. Elle rangea les peintures, referma l'armoire, puis elle courut dans le couloir, mais trop tard, la sorcière arrivait.

-Je vois qu'on a ouvert mon armoire, aboya-t-elle d'une voix rauque. Je vais me venger.

Elle courait tellement vite qu'elle ne vit pas les abeilles. Elle buta contre le mur d'insectes. En un instant, elle fut entourée par les mille abeilles.

La sorcière se mit à hurler. Elle se sauva vers l'escalier en colimaçon. Elle y monta si vite et il était tellement glissant, qu'elle dégringola et retomba jusqu'en bas. Elle perdit un œil pendant sa chute. Il rebondit sur les marches puis roula dans un coin.

Elle se releva, ouvrit son deuxième œil et atteignit le second escalier. Une fois encore, elle courut trop rapidement. Elle retomba à nouveau toutes les marches et perdit son deuxième œil. Il roula comme l'autre, dans un coin sombre.

La sorcière se redressa encore. Elle parvint dans la chambre tout en haut. Comme maintenant elle ne distinguait plus rien, elle ne vit pas que la fenêtre était ouverte. Elle buta contre le rebord et tomba du haut de la tour sur les dalles aux pieds de la girafe. On entendit un énorme "splatch" dans la cour du bas.

Le gros éléphant l'aplatit avec sa patte et la réduisit en jus de sorcière qui coula entre les pierres et disparut sous les pavés de la cour du château.


Charlotte remonta prudemment l'escalier et arriva tout en haut, suivie par le fantôme jaune. La grande girafe prit la fillette par sa robe de nuit et la posa dans la cour.

Notre amie embrassa le gros éléphant en le félicitant, la grande girafe en la remerciant, la petite fourmi en lui faisant un sourire, la jolie pie qui s'envola, et les mille abeilles qui retournèrent près de la haie en fleur.

Puis, elle remonta les escaliers du château, accompagnée par le fantôme. Elle passa à la salle de bains pour se laver les pieds. Elle se dirigea ensuite vers son lit.

-Voilà, dit le fantôme, merci de m'avoir peint en jaune. C'est très lumineux. Je suis bien content. 

-Au revoir, sourit la fillette. Merci encore pour le château.

-Au revoir, Charlotte. Tu es la fille la plus courageuse que je connaisse.

Le fantôme disparut au moment précis où l'on entendit la grande horloge de la salle à manger sonner une heure du matin.

-Je reviendrai, souffla-t-il.

Notre amie se dirigea vers la fenêtre. Elle vit le gros éléphant qui dormait dans un coin de la cour, la grande girafe qui sommeillait dans un autre. Elle aperçut la petite fourmi qui se reposait entre deux briques. Elle regarda la jolie pie qui fermait les yeux tout en haut du donjon. Un peu plus loin, dans le jardin du château, les mille abeilles ne dormaient pas toutes. Certaines butinaient en bourdonnant.

Charlotte se coucha. Elle prit son doudou lapin dans les bras et s'endormit. Elle rêva de fantômes gentils et de sorcières horribles. 

                                           Lis vite la suite du récit dans CHA 3, "Les Yeux de la Sorcière".