Charlotte
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Les Yeux de la sorcière

     "Tic, tic, tic, tic, tic". 

Charlotte s'éveilla.

-C'est quoi, cela?

Elle écouta attentivement. On n'entendait plus rien. Tout était noir et calme dans le château, dans la grande chambre où elle dormait.

Tout à coup, le "tic, tic, tic, tic, tic" reprit.

-Mon Dieu, s'inquiéta la fillette. Que se passe-t-il?

Elle se leva. Elle resta pieds nus. Elle portait une robe de nuit bleue avec des rubans blancs. Elle ouvrit doucement la porte de sa chambre et fit deux pas dans le couloir très sombre et silencieux. Elle écouta. Elle entendit chuchoter.

-Viens, Charlotte, viens.

-Qui m'appelle? demanda notre amie.

-Nous.

Et tout à coup, au bout du couloir, là où commence l'escalier, au ras du sol, elle vit deux yeux qui la regardaient. Les deux yeux de la sorcière!

Cette sorcière, tu t'en souviens, était morte. L'éléphant en l'écrasant, en avait fait du jus de sorcière. Il avait coulé et disparu entre les pavés de la cour du château. Mais il restait les deux yeux, perdus en courant dans l'escalier de la tour noire. À présent, ils regardaient Charlotte dans le silence et l'obscurité de la nuit.

-"Tic, tic, tic, tic, tic", fit l'un d'eux en rebondissant sur le sol. Viens avec nous...

 

Charlotte eut peur. Elle ferma sa porte vivement et traversa sa chambre en courant. Elle ouvrit la fenêtre et appela la grande girafe, qui dormait dehors dans la cour, le gros éléphant, lui aussi couché sur les dalles, la petite fourmi qui sommeillait dans une fissure du mur, la jolie pie qui fermait les yeux au sommet du donjon, les mille abeilles qui se reposaient dans le jardin. Tous répondirent présent.

-Que se passe-t-il? Pourquoi nous réveilles-tu?

-Venez vite près de moi. J'ai très peur. Je viens de voir les yeux de la sorcière. Ils sont ici, dans le couloir.

-J'arrive par l'escalier, cria la grande girafe. 

-Moi aussi, renchérit l'éléphant.

La fourmi entra dans la chambre de la fillette par la fenêtre, accompagnée bien sûr par la jolie pie et les mille abeilles.

 

Charlotte ouvrit de nouveau la porte de sa chambre et regarda. Le bruit venait du fond du couloir, près de l'escalier.

-Regardez, les yeux de la sorcière sont au bout du couloir. Ils tournent en rond comme des toupies. J'ai peur.

Tous les amis de la fillette aperçurent les deux yeux horribles. Alors, le gros éléphant se précipita pour essayer de les écraser. La grande girafe tendit son long cou de son mieux pour tenter de les attraper. La petite fourmi courut le plus vite qu'elle put pour essayer de les mordre, la jolie pie fonça toutes ailes dehors, pour tâcher de les béqueter, et les mille abeilles se dirigèrent vers eux pour les attaquer et les percer de leurs dards.

Mais les yeux de la sorcière disparurent dans un petit trou de souris entre la première et la deuxième marche du grand escalier du château.

 

Charlotte s'agenouilla devant le petit orifice et regarda. Au fond du trou de souris, bien loin dans l'épaisseur des murs, elle vit, dansant l'un au-dessus de l'autre, comme deux vilaines mouches, les deux yeux de la sorcière qui la regardaient.

-Ça fait vraiment peur, trembla notre amie.

-Attends, déclara l'éléphant.

Il plaça sa trompe contre le trou de souris. Il aspira de toutes ses forces par son grand nez, mais il n'attira que quelques poussières et autres toiles d'araignées. Tous regardèrent de nouveau. Les yeux avaient disparu, mais ne se trouvaient pas dans la trompe de l'éléphant, malheureusement. Ils s'étaient enfoncés quelque part dans la profondeur des caves du château.

 

-Que regardez-vous? demanda une voix derrière eux.

La grande girafe, le gros éléphant, la petite fourmi, la jolie pie, les mille abeilles et Charlotte se retournèrent. Ils virent le fantôme jaune qui les observait.

-Bonjour, sourit la fillette. J'ai vu les yeux de la sorcière. Elle les avait perdus en s'enfuyant dans l'escalier la nuit où je t'ai peint en jaune.

-Oui, je me souviens, répondit le fantôme.

-Ils sont venus me terroriser pendant la nuit.

-Alors, tu dois les détruire.

-Oui, mais comment s'y prendre? Je ne les vois plus.

-Je sais où ils se cachent. Ils sont dans les parties basses du château, en-dessous des caves, là où personne ne va jamais.

-Je n'aime pas d'aller là, trembla Charlotte. Cela me fait peur...

-Pourtant, si tu as du courage et que tu vas jusqu'à leur cachette, tu pourras les anéantir et t'en débarrasser pour toujours.

-Vous venez tous avec moi? supplia la petite fille.

-Bien sûr, affirma la grande girafe; évidemment ajouta le gros éléphant; je suis avec toi, encouragea la petite fourmi; moi aussi, déclara la jolie pie; on y va, on y va toutes, s'engagèrent les mille abeilles.

La fillette se tourna vers son fantôme jaune.

-Bien sûr, je viens avec toi, je resterai tout le temps à tes côtés.

Alors, Charlotte leur demanda d'attendre un instant. Elle retourna dans sa chambre, et, pour ne pas subir les mêmes ennuis que la dernière fois, elle passa ses pantoufles de gymnastique, un t-shirt et une salopette rose à petites fleurs mauves. Elle saisit sa lampe de poche. Puis elle ressortit.

-Me voilà prête pour l'aventure, dit-elle.


Ils descendirent les grands escaliers qui menaient au salon et traversèrent la salle à manger. Le calme régnait. Tout le monde dormait. Il devait être minuit et demi environ.

Ils empruntèrent ensuite un plus petit escalier pour atteindre les caves du château. Le gros éléphant passa tout juste et la grande girafe dut baisser la tête. Ils pénétrèrent tout au fond des cryptes, là où règnent le silence et l'obscurité. Notre amie alluma la lampe de poche qu'elle avait emportée. Ils s'arrêtèrent devant une grande porte brune, fermée.

-Voilà, expliqua le fantôme. Il faut passer par là. Ici commence le chemin qui mène aux yeux de la sorcière.

Charlotte poussa le verrou et ouvrit la grande porte. Ça grinça.

-II faut en franchir combien? demanda la fillette.

-II y a trois portes, répondit le fantôme. Et, derrière chacune, quelque chose de terrible t'attend. Sois très prudente.

Notre amie avança dans une grande, une très grande pièce remplie de toiles d'araignée. La fillette en eut bientôt dans ses cheveux et sur son visage. Elle recula, dégoûtée. La pièce rayonnait d'une lueur jaunâtre. Cela faisait vraiment peur.

Tout à coup, elle aperçut une araignée sur le sol, puis une deuxième et une troisième. Elles descendaient le long de leur toile. Une quatrième et une cinquième venaient du plafond, une sixième courait sur le mur. Six grosses araignées avançaient vers elle.

-Au secours, s'écria Charlotte.

Le gros éléphant fit un pas en avant et en écrasa une.

La grande girafe coinça une patte de la deuxième avec la sienne et saisit une des sept autres entre ses dents. La girafe, tellement grande, étira l'araignée. Elle se déchira de bout en bout et mourut sur le coup.

La petite fourmi, très intelligente, se glissa en-dessous du ventre de la troisième, sans être vue, et la mordit. L'araignée se retourna en se tordant de mal et mourut en remuant les huit pattes dans tous les sens.

La jolie pie fonça vers la quatrième et lui donna tellement de coups de bec que la vilaine bête en mourut, percée de toutes parts.

Les mille abeilles en volant piquèrent à tour de rôle le dos de la cinquième. Couverte de morsures, elle mourut en quelques instants.

La sixième araignée se sauva et disparut par une fissure dans le mur, entre deux briques. 


Nos amis traversèrent la cave remplie de toiles d'araignée et arrivèrent à l'entrée de la suivante. Elle était précédée d'une grande porte brune, fermée également.

Charlotte l'ouvrit et perçut aussitôt une horrible odeur de moisi. Ça montait du sol jonché de champignons qui bavaient une sorte de jus gluant. Il s'en trouvait même le long des murs. La lumière, ici, était bizarrement orange.

La fillette avança doucement. Ça glissait. Quelle bonne idée d'avoir pensé à mettre des chaussures, de ne pas être venue pieds nus comme l'autre fois. La grande girafe, le gros éléphant, la petite fourmi, la jolie pie et les mille abeilles la suivaient fidèlement.

Tout à coup, elle vit un, deux, trois, quatre, cinq, six longs serpents. Ils avançaient vers elle en rampant. Elle poussa un cri.

De nouveau, le gros éléphant, en premier, posa sa patte sur l'un d'eux et lui écrasa le ventre. La queue remua et la gueule s'ouvrit pour crier, mais il mourut.

Le deuxième fut pris par la girafe qui l'étira comme un élastique avec son long cou, en lui calant la queue avec sa patte et en le mordant avec ses dents derrière la tête. Il se déchira en quatre morceaux.

La petite fourmi piqua le troisième à la gorge. Il s'en étouffa.

Le quatrième fut béqueté par la jolie pie et troué de toutes parts.

Le cinquième serpent fut mitraillé par les mille abeilles et mourut étouffé en tentant de se sauver par une fente dans le mur. Il ne put pas y passer car il était à présent couvert de grosses gourmes.

Le sixième parvint à s'enfuir, on ne le vit plus.

Charlotte avança, passant entre les champignons baveux, et atteignit la troisième et dernière porte brune.


-Attention, avertit le fantôme jaune, derrière, c'est dangereux.

-C'est quoi? demanda la fillette.

-Tu le verras assez tôt.

Notre amie ouvrit la porte et regarda…

Au fond de la troisième cave, rouge cette fois, se trouvait un dragon à trois têtes! Entre ses pattes, on apercevait une petite porte de couleur dorée.

-Tu dois passer par là, murmura le fantôme jaune.

Charlotte entra dans la cave du dragon, avec la grande girafe, le gros éléphant, la petite fourmi, la jolie pie et les mille abeilles. Son cœur battait vite. Tous étaient épouvantés. Le dragon remua ses trois têtes et ouvrit ses six yeux rouges.

-Aah! grogna le monstre. J'ai de la visite. Que viens-tu faire ici, petite fille?

-Les yeux de la sorcière me font peur. Je voudrais les détruire.

-Tu veux les anéantir. Tu as du courage! Je vais te laisser passer et te donner la formule magique qui les fera disparaître pour toujours, ainsi que les trois clés d'or nécessaires pour t'y rendre. Mais pour cela, tu dois d'abord répondre à trois questions.

-Pas trop difficiles? supplia la fillette. Je ne suis encore qu'une petite fille.

-Je veux savoir si tu es intelligente…

Une des têtes du dragon se redressa un peu plus haut que les autres, et, de ses grands yeux rouges, elle observa Charlotte. 

-Je connais une fleur jaune, le mimosa. Les coquelicot sont rouges. J'aime le bleu un peu mauve des clochettes des prés. Mais peux-tu me nommer une fleur noire?

Notre amie hésita. Puis, tout à coup, elle cria.

-Oui, j'en ai déjà vu. Il existe des tulipes noires.

-Bien, accepta le dragon.

Et la première tête du monstre se baissa, tandis que la première patte ouvrait ses griffes et posait une clef en or aux pieds de Charlotte.

La deuxième tête se redressa.

-Le chat a des poils. La tortue possède une carapace. Le corbeau vole grâce à ses plumes. Et le poisson? Que recouvre la peau du poisson?

La fillette regarda ses amis.

-Ce sont des écailles, souffla la grande girafe. J'en suis certaine.

-Bien, fit la deuxième tête du dragon.

Et les griffes posèrent une deuxième clef devant la fillette.

La troisième tête se redressa.

-Troisième et dernière question, promit le dragon. Parlons un peu des bébés. Combien de temps un bébé humain reste-t-il dans le ventre de sa maman, avant de naître?

-Je ne sais pas, s'inquiéta Charlotte. Je n'ai jamais demandé à maman. Peut-être un mois ou deux?

Qu'en penses-tu, toi qui lis ou écoute cette histoire?

Elle se tourna vers ses amis, mais ils ne connaissaient pas la réponse.

-Chez nous, cela dure vingt-deux mois, affirma le gros éléphant.

-Je crois que chez les lions, c'est quatre mois, évalua la girafe et mon petit attend quinze mois avant de naître.

Notre amie hésitait.

-Les chats, restent neuf semaines dans le ventre de leur mère, je crois, réfléchit la jolie pie. Et les souris seulement trois semaines.

Soudain, Charlotte se souvint de son petit cousin.

-Pour les bébés humains, c'est neuf mois, lança-t-elle.

-Bien, grogna le dragon. Très bien. Voici la troisième clé.

Charlotte glissa les trois clefs dans la poche de sa salopette rose à petites fleurs mauves.

-Maintenant, retiens bien la formule secrète, insista le dragon, car, si tu l'oublies, tu risques de mourir. Lorsque tu verras les yeux de la sorcière, pour les faire disparaître pour toujours, tu devras crier : "Kalina, Kimuenza, Kudianga".

La petite fille répéta la formule tout bas, pour être sûre de la retenir.


Elle se baissa, et, saisissant la première clé, ouvrit la première porte en or, découvrant un sous-terrain au plafond bas. Elle ne pouvait même pas s'y tenir debout. La lumière était jaune.

-Stop, cria le dragon. Les animaux ne peuvent pas entrer ici. Il n'y a que toi et le fantôme.

Charlotte se retourna, et, malgré ses craintes, elle renvoya la grande girafe, le gros éléphant, la petite fourmi, la jolie pie et les mille abeilles. Elle leur proposa de retourner l'attendre dans la cour du château.

Elle entra courageusement dans le couloir, accompagnée du fantôme jaune.

À peine eut-elle passé que la porte se referma toute seule derrière elle. Impossible de revenir en arrière.

Elle avança en se baissant, et, soudain, elle aperçut la sixième araignée qui tomba du plafond et courut vers elle.

-J'ai peur, s'écria notre amie. Que dois-je faire?

-Prends ta chaussure en main et écrase-la, suggéra le fantôme.

La fillette empoigna sa sandale de gymnastique puis attendit que l'araignée soit tout près d'elle. Alors elle lui donna un grand coup sur le dos et l'écrasa.

Elle remit sa chaussure et continua le couloir jusqu'au bout.

Elle sortit la deuxième clé de sa poche et ouvrit la deuxième porte d'or. Le passage, encore plus petit, était de couleur orange. Charlotte dut y progresser à quatre pattes tant la voûte était basse.

Tout à coup, elle vit le sixième serpent. Il s'y était réfugié. Sa tête se redressa. Il siffla. La fillette n'osa plus bouger.

-Je ne peux pas l'écraser avec mes tennis. Il est trop grand…

-Non, tu ne peux pas, répéta le fantôme jaune. Couche-toi par terre et ne bouge plus.

Le serpent glissa doucement vers notre amie terrorisée. Il passa à côté de son épaule. Puis il monta sur son dos, avança sur sa jambe gauche et puis s'éloigna, sans l'avoir remarquée. Ces animaux ont une très mauvaise vue.

Charlotte se redressa, et, le plus vite qu'elle pouvait, elle s'approcha de la troisième et dernière porte. Elle l'ouvrit.

Là, le passage baigné de lueurs rouges était si bas qu'il fallut ramper. Son cœur battait à toute vitesse. Elle sentait la sueur couler le long du visage. Ce n'était pas sa transpiration, mais la peur. Elle tremblait de tout son corps.


Enfin le couloir s'élargit et elle pénétra dans une grande grotte ronde, au milieu de laquelle se trouvait une énorme pierre blanche, hérissée de pointes. Cela ressemblait à un cactus en pierre ou à une énorme châtaigne, blanche.

La pierre se brisa et s'ouvrit. Notre amie aperçut alors, par l'ouverture, les deux yeux de la sorcière. Ils rebondirent sur le sol comme des balles de ping-pong. Ils approchaient doucement de la petite fille en tournant sur eux-mêmes, comme des toupies.

-Non, supplia Charlotte. Non!

-Vite, cria le fantôme, la formule secrète. Tu la connais encore?

-La formule magique? J'ai oublié! répondit la fillette.

Et toi qui me lis, tu t'en souviens de cette formule?

Heureusement, tout à coup, elle retrouva la mémoire et cria :

-Kalina, Kimuenza, Kudianga.

Les yeux de la sorcière s'arrêtèrent de tourner sur eux mêmes et se posèrent sur le sol. Ils fondirent lentement, comme un glaçon au soleil en plein midi. Un peu de liquide coula entre les pierres rouges du sol. Les yeux de la sorcière disparurent pour toujours. On ne les revit jamais plus.


Charlotte aperçut une échelle en fer rouillé. Elle y grimpa, toujours suivie par son fantôme jaune, et elle poussa une petite porte juste au-dessus d'elle, une trappe. Cela s'ouvrit. La fillette s'y hissa et se retrouva au milieu de la cour du château.

Elle entendit: "dong". Une heure du matin sonnait à la grosse horloge.

-Au revoir, chuchota le fantôme. Je dois disparaître. Au revoir… Je reviendrai.

-Au revoir, sourit notre amie.

Le fantôme jaune disparut.

Charlotte embrassa ses amis qui l'attendaient dans la cour. Elle les remercia chaleureusement pour leur soutien et leur aide. Puis elle retourna dans sa chambre. Elle se déshabilla et remit sa robe de nuit.

Avant de se coucher, elle regarda par la fenêtre. Elle aperçut la grande girafe, qui s'endormait dans un coin de la cour, le gros éléphant couché sur les dalles, la petite fourmi qui se reposait dans une fissure du mur entre deux briques, la jolie pie qui s'était posée tout en haut du donjon. Dans le jardin, près de la haie, les mille abeilles ne dormaient pas toutes. Certaines dansaient.

Charlotte se remit au lit. Elle serra bien fort son lapin en peluche et s'enfonça dans le beau pays des rêves.

 

Lis la suite et fin de cette histoire dans Charlotte 4 "Le chevalier jaune".