Christine
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La clé

     Deux hommes discutaient dans un jardin, près d'une grande maison assez vieille et sombre.

-Ainsi, tu es sûr que personne ne la trouvera ? Personne jamais ne pourra mettre la main sur elle, là où tu l'as cachée ?

-Absolument, répondit l'autre. Elle gît loin dans le bois, au fond d'un étang, dans une grande boîte en fer, posée dans une caisse, remplie de cailloux pour la lester. Je reviens de cette forêt. Tu connais ce petit lac, près d'une vieille tour. La caisse est au fond, bien enfoncée dans la vase, pour toujours.

-Tu n'as croisé personne ?

-Non. À cette heure de la nuit, on ne rencontre personne dans les bois. Rien. Une chouette hululait. Elles ne parlent pas, que je sache. Elle m'a par contre fichu une belle frousse.

-Bon, je te fais confiance.


Le lendemain soir, Christine allait bientôt s'endormir. Papa et maman lui avaient donné leur dernier bisou. Par la fenêtre grande ouverte, elle attendait Chachou, son hibou. L'oiseau arriva. Il lui a appris le langage des animaux, à l'âge de trois ans.

-Salut, dit-il en se posant sur l'appui près de la vitre. J'ai une histoire amusante à te raconter.

-J'aime bien les histoires amusantes, répondit notre amie.

Elle s'assit dans son lit.

-Tu sais que je vais souvent chasser la souris du côté du lac vert, dans la vieille tour.

-Oui, répondit Christine, je connais. J'y ai rencontré mon amie Myriam autrefois.

Découvre cette merveilleuse aventure, "La tour du lac vert", aux numéros 24, 25, 26, 27, 28, 29.

-Là, je trouve les plus grosses et les plus tendres, poursuivit le hibou.

-Arrête, supplia notre amie. Je n'aime pas quand tu me parles de manger des souris.

-Bon, fit Chachou. Je continue mon histoire. Hier soir, posé au sommet de la tour, j'observais les environs, quand j'ai entendu une voiture s'arrêter. Un homme en est sorti. Il portait une lourde caisse. Il regardait sans cesse autour de lui, comme s'il craignait qu'on le suive. Il semblait en tout cas sur ses gardes. Il s'avança jusqu'au bord du lac, à côté du saule pleureur. Et là, il jeta la caisse dans l'eau.

-C'est dégoûtant, interrompit Christine. Le lac n'est pas une poubelle.

-Bien d'accord avec toi. À ce moment-là, j'ai fait « Ouh, ouh, ouh... ». Il s'est précipité dans sa voiture en hurlant. Il a démarré à toute vitesse. Cela doit être un fameux froussard, pour avoir peur d'un hibou.

À moins qu'il n'ait pas la conscience tranquille, songea notre amie. Pourquoi aller jeter une caisse la nuit dans un étang au milieu du bois?

-Merci pour ton histoire.

-Bon, je te laisse. Bonne nuit.

-Bonne nuit, Chachou.

Le hibou s'envola.

En s'endormant, Christine réfléchit. Un homme, la nuit, regarde si personne ne le suit. Il porte une caisse. Il a très peur. Il la jette dans un lac et s'encourt quand il entend hululer un hibou. Cet individu n'a pas la conscience tranquille. Ce n'est pas un paisible promeneur. Ce serait bien un bandit. Qu'a-t-il jeté dans l'eau ? J'aimerais bien le savoir, songea-t-elle.

Tu sais que Christine est très curieuse... trop curieuse, beaucoup trop... Un peu comme toi, sans doute. Tu aimerais connaître le contenu de cette caisse. À sa place, tu irais voir ?


Le lendemain, notre amie demanda à ses parents la permission d'aller jusqu'au lac. Elle les avertit toujours quand elle part pour la journée. Pour arriver à cet endroit, il faut marcher deux heures au moins. Et puis deux autres pour en revenir. Cela veut dire quatre heures, sans flâner. Ils acceptèrent.

-Tu en profiteras pour inspecter la barquette si tu veux bien, ajouta le papa de notre amie. J'espère qu'elle est toujours bien arrimée à l'arbre le long du ponton du grand lac.

-D'accord, promit Christine. Je regarderai.

Elle passa sa vieille salopette en jean, bien usée, mais elle refuse de s'en séparer, son t-shirt, ses sandales de gymnastique un peu salies par la boue des chemins. Elle glissa une ceinture à sa taille pour pouvoir y accrocher sa gourde. Elle descendit déjeuner et boire son lait. Elle se fit une ou deux tartines bien garnies pour midi qu'elle emballa et glissa dans sa poche de devant, près de son canif. Elle arrangea ses deux tresses et ainsi parée, elle partit.

Elle suivit le long chemin en terre qui file à gauche de sa maison. Il faisait très beau. Tout resplendissait de fleurs et de la lumière de l'été. Les oiseaux chantaient.

Elle quitta la piste au bout d'une heure et demie et s'engagea le long d'un sentier, qui allait par collines et vallées. Elle traversa deux petites rivières les pieds dans l'eau, parce qu'il n'y avait pas de pont. Puis, la salopette mouillée jusqu'aux genoux, elle parcourut un vaste bois de sapins et atteignit le grand lac. Tout une promenade.

Christine vérifia l'état de la barquette. Tout lui parut bien en ordre.

Puis elle quitta le lac et monta vers le petit étang vert caché sur la hauteur. L'eau n'y est pas verte mais une abondante végétation pousse à la surface. On y voit des nénuphars, mais aussi et surtout, des toutes petites plantes aquatiques, innombrables, terminées par des feuilles minuscules. Des lentilles d'eau. Il y en a tant et si bien qu'on n'aperçoit même pas le fond de la mare. On dirait un grand tapis vert.

Notre jeune fille repéra le saule pleureur et se demanda où se trouvait la caisse. « À côté du saule » avait raconté Chachou. Elle tenta d'apercevoir le fond en se tenant à une branche et en se penchant, mais elle ne vit rien. Avec sa main, elle écarta les plantes, mais les lentilles vertes reprenaient aussitôt leur place à la surface.

Il n'y avait qu'une solution. Il fallait entrer dans l'eau. Pas très chaude. Et surtout, pas très propre. Ça ne sentait pas très bon. Le fond s'encombre de boue et de branches qui se décomposent doucement dans la vase...

Christine se mit pieds nus. Elle entra dans l'eau avec sa salopette. Ça lui vint rapidement jusqu'au ventre. Elle frissonna un peu.

En avançant doucement, en déplaçant délicatement les pieds, elle évita des branches déjà à moitié pourries et les cailloux pointus. Tout à coup, elle buta contre une grosse boîte. 

Pour prendre ce coffre, elle dut se pencher en avant. Elle fut obligée de se mouiller jusqu'au cou. Elle saisit la caisse, la souleva, et la posa sur la berge. Notre amie sortit de l'eau trempée. Ses longues tresses dégoulinaient.

Elle tira sa trouvaille contre le tronc du saule pleureur et s'assit au soleil pour sécher un peu. Elle grelottait.

Elle entreprit d'ouvrir le coffret. Ce ne fut pas facile. Enfin, avec de la patience, et l'aide de son canif, elle réussit à dégager le couvercle. Elle vit plein de cailloux. Quelle déception!

Elle enleva les pierres une à une. Au fond de la caisse, elle aperçut une boîte en fer. Elle l'ouvrit à son tour et y trouva une grosse clé. Christine la saisit, perplexe. Elle était fort ancienne, en fer, et mesurait 10 à 12 centimètres. À quoi pouvait-elle bien servir ?


Tout à coup, la jeune fille entendit du bruit derrière elle. Elle se retourna vivement et vit un renard approcher, son renard, un de ses grands amis de la forêt.

-Oh! tu me surprends.

-C'est bien ce que je voulais, affirma l'animal. J'aime surprendre.

Notre amie se leva et remit ses chaussures.

-Qu'as-tu trouvé dans l'étang ? demanda-t-il.

-Une clé, montra Christine. Mais je me demande à quoi elle sert. Elle dégage une légère odeur un peu étrange et je ne sais pas du tout à quoi cela correspond.

Le renard s'approcha, renifla, grogna, flaira à nouveau.

-Je connais cette odeur, murmura le renard. Je connais cette odeur. Elle me rappelle quelque chose.

-Allons, cherche, insista notre amie.

-Attends. Oui, je sais! En arrivant au village, en venant de chez toi, à l'orée de la forêt, la route se divise en deux. Il y a le chemin du bas et celui du haut. Si tu suis le chemin du haut, cela monte très fort et tu longes au début un grand mur sur ta gauche.

-Oui, un mur en briques.

-Exact, confirma le renard.

-Il entoure le vieux cimetière, dit Christine.

-Et bien, l'odeur vient de là quelque part. Cette clé a traîné longtemps entre les tombes des morts.

Le renard s'en alla. Notre amie réfléchit un moment sous le saule en mangeant ses tartines. D'un côté, visiter un lieu pareil faisait un peu peur. C'était impressionnant. Elle ne trouvait pas très amusant d'aller fouiller là. Mais d'un autre côté, elle est très curieuse. Elle voulait savoir à quoi servait la clé. Elle la glissa dans la poche de sa salopette.


Pour aller à ce vieux cimetière, il faut se rendre au village. Depuis le lac vert, la route est bonne. Notre amie décida de la suivre. Elle reviendrait plus tard à la maison par le chemin en terre qu'elle connaît bien. Au lieu de marcher deux fois deux heures, il en faudrait bien six en tout. Le prix de la curiosité.

Elle partit donc à travers bois. Elle atteignit les premières maisons en début d'après-midi. Il faisait toujours beau mais le ciel se couvrait lentement.

Elle s'engagea sur le chemin du haut. Elle longea bientôt le mur évoqué par le renard. Un vieux mur de briques, couvert de lierre, de mousses vertes, de toiles d'araignées, qui borde l'ancien cimetière.

En pleine après-midi par beau temps, cela ne fait pas peur.

Christine s'approcha de la grille. Elle actionna la poignée et ouvrit.

L'endroit pourtant lui parut sinistre. Certaines dalles avaient bougé avec le temps, entrouvrant les tombes. Des croix renversées traînaient sur le sol. Les allées étaient jonchées de feuilles mortes et de branches sèches. La végétation envahissait tout.

Elle s'approcha d'un tronc d'arbre, couché en travers du passage central. Elle l'enjamba par dessus.

Elle se dirigea vers deux petites chapelles au fond du cimetière. Autrefois, les gens construisaient parfois un petit temple pour honorer leurs morts. Elle avança doucement, observant à gauche et à droite, se retournant parfois. Ça craquait au sol sous ses pas, quand elle brisait du bois mort.

Elle parvint à l'une des chapelles. Elle regarda par une petite fenêtre recouverte de toiles d'araignées. Cela semblait vide. Pas de serrure. Elle ouvrit doucement la porte en fer. Rien que de la poussière et quelques feuilles mortes.

Elle se dirigea vers l'autre en longeant le premier tronc d'arbre et puis en enjambant le second. Elle poussa bien fort la porte noire de cet oratoire, où l'on peut prier en pensant à ceux qui nous ont quittés parfois trop tôt. Cela donnait sur un escalier qui s'enfonçait dans l'obscurité.

Christine descendit doucement. Il ne faisait pas tout à fait noir, à cause des rayons du soleil. Elle atteignit une cave. À gauche et à droite, elle aperçut deux grands cercueils. Elle frissonna. Des gens, morts, reposaient sûrement, couchés à l'intérieur.

Sur le mur du fond, elle observa une grande plaque en fer. Elle était divisée en deux par une ligne dorée. L'or ne se voyait plus très bien. Des mousses vertes couvraient tout. Au-dessus de la séparation, elle lut: « Porte du ciel ». En-dessous, elle déchiffra « Porte de l'enfer ». Aucune serrure en apparence. 

L'endroit sentait le renfermé. Notre amie remonta l'escalier. La clé ne venait peut-être pas de là. Son renard s'était peut-être trompé. Elle la remit dans sa poche et retourna chez elle.


Au soir, elle attendit son hibou avec impatience. Quand il arriva, elle lui raconta son aventure. Chachou écouta.

-Ainsi la boîte contenait un clé...

-Oui, répondit Christine, mais je ne sais pas à quoi elle sert. Dommage ! Je crois que mon renard s'est trompé en parlant du cimetière.

-J'aperçois quelque chose qui brille, fit le hibou en pointant son aile vers le fond de la chambre de notre amie.

Notre amie se redressa et remarqua une petite lueur, venant de sa table. La clé était phosphorescente. Elle apparaissait, blanchâtre, dans la nuit.

-En ce cas, affirma Chachou, je sais ce qu'il te reste à faire. Tu dois retourner là-bas, pendant la nuit. Ainsi, tu verras la serrure dans laquelle il faut introduire la clé. Elle est sans doute phosphorescente elle aussi.

-Je n'oserais jamais aller dans un cimetière pendant la nuit. Cela fait trop peur, murmura Christine.

-Comme tu veux, fit le hibou en s'envolant.


Notre amie resta un moment assise au bord du lit. Elle hésitait. Elle mourait d'envie de découvrir le secret de cette clé. Il faudrait marcher deux heures dans la forêt bien noire, pour arriver au cimetière. Puis le traverser dans l'obscurité. La lampe de poche se trouvait dans la chambre des parents. Impossible d'aller la prendre pour le moment.

La peur à gauche, la curiosité à droite. Celle-ci était plus forte que l'autre. Christine décida d'aller voir.

Et toi qui lis ce récit, tu oserais?

Pas question de partir par l'escalier qui mène à la salle de séjour en bas. Elle risquait de croiser papa ou maman.

Elle enleva son pyjama et mit sa vieille salopette, un t-shirt et ses chaussures de gymnastique. 

Elle ouvrit la fenêtre et l'enjamba. Elle passa dans la corniche. Elle y avança à quatre pattes dans l'eau qui y stagnait. Elle sauta avec souplesse de la corniche sur le toit du hangar, situé juste à côté de la maison et se laissa glisser sur les tuiles mouillées jusqu'à une petite lucarne. Elle s'y faufila puis descendit agilement par les poutres sous le toit. Elle se reçut sur le sol. Elle fila dans la forêt sous la pluie qui hélas tombait à présent. La clé phosphorescente en poche. 


La marche fut longue. Parfois, elle courait un peu, pour se réchauffer. Ses vêtements étaient trempés. Ses tresses dégoulinaient et l'eau coulait sur son visage et dans son cou. Elle pataugeait dans la boue.

Le chemin était rendu glissant, à cause de la pluie. Elle connaît bien le trajet, mais les flaques d'eau avaient grossi et grandi. Elle glissa dans l'une d'elles. Elle se redressa, recouverte de vase. Elle continua pourtant à marcher et à courir.

Après deux heures épuisantes, vers minuit moins quart, elle aperçut enfin la grille du vieux cimetière. La pluie avait cessé. Parfois entre deux nuages, la lune éclairait de sa lumière argentée la surface des ornières où l'eau ruisselait encore.

Christine poussa la grille et entra.

Si je trouve quelque chose de phosphorescent, ce sera sûrement dans l'une des deux petites chapelles visitées l'après-midi, se dit-elle.

Elle marcha vers elles d'un pas décidé.

Tout à coup, elle sentit qu'une main saisissait sa cheville. Elle poussa un cri et tomba en avant. Elle se retourna, blême de peur. Ce n'était pas une main mais une branche fourchue gisant dans l'allée. Elle trembla, épouvantée.

Elle enjamba le tronc d'arbre encore détrempé et longea un second. Elle arriva à la petite chapelle, celle avec l'escalier. Elle pénétra dans l'oratoire. Tout était silence et nuit.

Elle descendit lentement les marches glissantes. Ses dents claquaient de froid et de frayeur. On n'entendait rien. Elle grelottait. Son cœur battait très fort. Ses cheveux dégoulinaient encore sur sa salopette trempée, sale et boueuse.


Elle s'arrêta au bas de l'escalier et passa entre les deux cercueils. Elle eut un nouveau frisson. Les morts ne parlent pas. On dit qu'ils écoutent...

Sur le panneau du fond et où était inscrit « Porte du ciel » et « Porte de l'enfer », elle découvrit une trace phosphorescente.

Notre audacieuse amie prit la clé, l'introduisit dans la serrure et tourna. Elle fit sept tours. À ce moment-là, elle entendit un déclic dans le silence du tombeau. Le panneau de fer s'ouvrit, laissant apparaître un souterrain tout noir qui dégageait une odeur de pourriture épouvantable.

Il faisait trop noir là-dedans. Elle n'osa pas y entrer. Cela faisait trop peur. Maintenant qu'elle savait comment ouvrir, avec sa clé, elle décida de revenir le lendemain, en pleine lumière, pour visiter le souterrain. Elle prendrait la lampe de poche.

Elle récupéra la clé et le panneau glissa. La porte métallique se referma toute seule.

Christine enjamba les deux troncs d'arbre et courut vers la sortie.

La lune venait d'apparaître entre les nuages. On n'entendait rien, sauf le vent dans les arbres. Elle laissa la grille du cimetière ouverte derrière elle.

Elle courut le plus vite possible à sa maison. La pluie tombait à nouveau. Elle arriva chez elle trempée, sale et glacée.

Elle se hissa sur les poutres du hangar et passa sur le toit, la corniche, et entra par la fenêtre de sa chambre.

Elle retira ses chaussures de gymnastique qui dégoulinaient de vase. Elle posa sa salopette sur la chaise. Elle s'expliquerait demain avec maman.

Elle ouvrit la porte de sa chambre et alla se laver à la salle de bains. Puis elle passa son pyjama et se coucha. Elle s'endormit rapidement.


Tout à coup, à sa fenêtre, Christine vit un doigt blanc, osseux, puis un deuxième, puis trois autres. Une main terminée par une griffe qui se posa sur la tablette du bas. Notre amie entendit un bruit grinçant, comme un râle. La fenêtre mal fermée s'ouvrit lentement et un squelette, couvert de lambeaux de chair et percé de deux yeux rouges apparut. Christine, terrorisée, s'assit dans son lit.      

-Tu as ouvert la porte des enfers, murmura le mort-vivant. Je viens te prendre pour t'y emmener et t'enfermer dans le souterrain. Tu vas y mourir de faim puis tu y pourriras doucement à mes côtés.

-Non, hurla Christine. Je ne veux pas, je ne veux pas.

Elle se réveilla. C'était un cauchemar! Elle observa la fenêtre bien fermée et ne vit aucun monstre horrible dans sa chambre. Elle se recoucha et finit par se rendormir jusqu'au matin.


Sa maman la réveilla en entrant dans sa chambre.

-Et bien, ma chérie, tu ne te lèves pas aujourd'hui ?

-Si, maman.

Elle s'approcha de la chaise de sa fille, près de la fenêtre.

-Ta salopette ? Et tes chaussures de gymnastique! Comment se fait-il qu'elles soient si mouillées et si sales ?

Elle allait répondre, mais sa mère continua à parler.

-Tu vas aller au village, parce que je voudrais que tu fasses quelques courses. Dépêche-toi de t'habiller. 

Christine mit ses sandales de gymnastique sales, car elle comptait passer par le cimetière en rentrant. Elle passa sa salopette tachée de boue et un t-shirt et descendit en refaisant ses jolies tresses. Elle préféra ne pas donner d'explications, ne voulant pas parler de son escapade nocturne.
     
Maman lui donna une petite liste de courses et Christine partit à vélo. Elle emmenait la clé.

Au village, elle fit d'abord les achats demandés. 

Puis elle repassa par le long mur du cimetière. Elle posa son vélo derrière les hautes herbes près d'un arbre, bien à l'ombre. Elle ouvrit la grille. Il faisait beau et clair en cette fin de matinée. 


Elle entra et suivant une allée, marcha droit vers la petite chapelle. Elle descendit les escaliers et introduisit la clé dans la serrure. Cela semblait toujours tourner à vide. Soudain, notre amie hésita. Elle se souvenait de son horrible cauchemar de la nuit passée.

Le souterrain s'ouvrit.

Elle éclaira le tunnel avec la lampe de poche. Le couloir était tellement long qu'elle n'en voyait pas le bout. Elle passa la tête. La voûte en briques n'était pas haute. Elle s'avança à quatre pattes. Elle dépassa une sorte de levier en fer.

Christine entendit un bruit derrière elle et se retourna. Les panneaux d'acier se refermaient tout seuls. Plongée dans le noir total, sauf le faisceau de sa lampe, elle saisit le levier en fer, tira, et les portes s'ouvrirent. Ça la rassura un peu. Elle pouvait faire demi-tour si elle voulait.

Alors, elle repartit doucement dans le souterrain, toujours à quatre pattes. C'était crasseux, mais sa salopette était quand même sale, ça ne changeait rien. Elle parcourut environ vingt mètres puis rencontra une seconde porte en fer.

Elle poussa, tira. Elle ne voyait pas du tout comment cela pourrait s'ouvrir. Elle éteignit sa lampe. Elle remarqua aussitôt une petite lumière. Elle passait par une seconde serrure. Elle y introduisit la clé phosphorescente et tourna. Ça s'ouvrit. Elle la remit en poche.

Christine se trouvait à présent dans une grande cheminée, au fond d'une cave d'une vieille maison. Des puissants néons éclairaient l'endroit.


Elle observa des grosses machines qui ronronnaient en cadence. On imprimait des journaux ou des brochures à cet endroit.

Notre amie entendit deux hommes discuter à trois pas d'elle.

-On va manquer de papier.

-Viens, allons en chercher là-haut.

Christine profita qu'ils s'éloignaient pour s'avancer vers une des presses. Elle prit une feuille imprimée et tenta de la lire mais elle ne sut déchiffrer ni les lettres, ni les mots. C'était une écriture et une langue étrangères. Elle plia la page et la glissa dans sa poche de devant à côté de son canif et de la clé.

Un des hommes redescendait déjà. Il aperçut notre amie. Il appela son collègue.

-Regarde, là ! Un garçon !

-Non, c'est une fille, dit l'autre. Elle a des tresses.

Notre amie chercha à fuir mais se trouvait coincée par les deux individus. Ils s'approchaient. Elle ne sut plus par où s'encourir.

L'un d'eux la prit par le poignet, rudement, et l'emmena dans les escaliers. Il faisait mal en serrant.

-Que fais-tu ici ? Par où es-tu arrivée ?

-Par le souterrain.

-Quel souterrain ?

-Celui qui part du cimetière.

-Comment as-tu fait pour ouvrir le passage ?

-Avec une clé que j'ai trouvée dans l'étang vert de la forêt.

L'homme s'en empara.       

-Tu es une sale curieuse. Tu vas le regretter. On va t'attacher ici en attendant que notre chef revienne. Je ne sais pas ce qu'il fera de toi, mais dis-toi bien une chose, tu ne reverras jamais plus tes parents. Tu es entrée dans une imprimerie clandestine. Et ce que nous faisons ici, personne ne doit le savoir.


Ils attachèrent la jeune fille solidement, fixant ses mains derrière son dos avec une corde, au dossier d'une chaise dans un salon du rez-de-chaussée.

Christine gémit : 

-Aïe, ça fait mal. Vous tirez trop fort.

La douleur à ses poignets lui donnait envie de pleurer, mais elle ne voulait pas fondre en larmes devant eux.

Ils lièrent ensuite une de ses chevilles à un pied de la chaise puis la seconde de l'autre côté. Elle ne pouvait plus bouger. Ils passèrent une corde au niveau de son ventre. Ça serrait trop fort. Ils la laissèrent, ligotée, au milieu de la pièce et se dirigèrent vers la porte.

-Quand le chef viendra, il décidera de ton sort. Il t'enfermera dans une des caves et tu y resteras pour mourir lentement. Voilà le sort des petites curieuses.


Quand elle se retrouva seule, Christine se mit à pleurer. Elle essaya de bouger ses jambes et ses mains mais plus elle s'acharnait, plus la corde entrait dans sa chair. Ses larmes coulaient sur ses joues. Elle regarda autour d'elle. Rien ne pouvait l'aider. Personne. Elle essaya de se déplacer avec la chaise mais sans succès. Elle désespérait.

Puis elle se souvint des paroles de son père.

"Si un jour dans la forêt ou ailleurs, tu es perdue, toute seule, en difficulté, cela ne sert à rien de pleurer. La peur empêche de réfléchir. Si tu cherches bien, tu trouveras toujours une solution. Toujours."

Notre amie serra les dents et se maîtrisa. Les larmes coulaient quand même. Elle se rappela que dans la poche avant de sa salopette, se trouvait son canif. Les hommes ne l'avaient pas fouillée. Mais comment l'attraper avec les mains attachées ?

En basculant avec la chaise, son canif pourrait glisser et tomber sur le tapis. Décidée, elle se balança d'avant en arrière, s'aidant avec les pieds, la tête et les hanches, se disant qu'elle finirait par chuter. Mais elle allait écraser ses mains et cela ferait bien mal. Tant pis.

Courageusement, elle se balança de plus en plus fort. La chaise bascula et Christine tomba en arrière, les bras et les mains coincés en-dessous d'elle. Elle ne put s'empêcher de pousser un cri de douleur.

Mais le canif au sol, hors de la poche, sur le tapis, se trouvait à portée de ses doigts. Elle parvint à bouger doucement vers lui et réussit à le tenir solidement en main. Elle essaya d'ouvrir la lame. Pas facile, elle se repliait sans cesse. Elle y parvint pourtant.

Elle entreprit alors de trancher la corde qui la retenait prisonnière. Hélas elle se coupa au poignet. Ça saignait. Elle continua avec courage. Enfin, elle dégagea une des cordes. Elle put libérer une main, puis la seconde. Elle lécha sa plaie. Le sang continuait de couler. Tant pis. Elle détacha les liens qui serraient son ventre et ses pieds.


Christine se mit debout. Elle referma son canif et le remit en poche.

Fuir ! Elle courut ouvrir une fenêtre de la pièce. Elle enjamba l'appui et sauta dans le jardin. 

Hélas, des hauts murs cernaient cette maison. Elle aperçut un arbre dont deux grandes branches passaient par-dessus.

À ce moment-là, les grilles s'ouvrirent et une voiture entra dans la propriété. Notre amie aperçut les deux hommes se précipiter vers leur chef.

"On a un problème", entendit-elle.

Elle n'écouta pas la suite de la conversation et se dépêcha vers l'arbre. Elle y grimpa et parvint à se hisser assez haut en tirant sur ses bras endoloris. Elle s'accrocha à l'une des branches puis sauta.

Elle tomba sur ses genoux, se fit une solide égratignure et déchira un peu plus sa salopette. Elle se redressa. Elle se trouvait sur le petit chemin qui conduisait au mur du cimetière en contrebas. Elle courut le plus vite qu'elle pouvait, reprit son vélo et, pédalant de toutes ses forces, elle retourna chez elle.


Il était quatre heures de l'après-midi quand elle entra en trombe chez ses parents. Elle leur raconta toute son aventure.

La maman téléphona à la police. Une équipe fut rapidement dépêchée à l'endroit décrit par Christine. Pendant ce temps, notre amie, un sandwich à la main, partit avec son père vers le village. Même pas le temps de se laver et de se changer.

Les gendarmes donnèrent l'assaut dès que notre amie confirma ses dires et montra le couloir secret sous la chapelle du cimetière. Les trois hommes furent faits prisonniers.

Ces malfaiteurs imprimaient des tracts dans la langue de chez eux, étrangère à notre amie, pour déstabiliser leur pays et préparer une révolution.

Grâce au cran de Christine, une guerre a peut-être été évitée, là-bas.

Revenant à la maison, elle expliqua à mère toute la vérité concernant ses habits sales et sa marche dans la nuit. La maman la prit dans ses bras, et la serra très fort en l'embrassant. Elle la félicita pour son courage.