Christine
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Les pierres de lumière. Myriam. ( partie 6 Finale)

     Le baron Charles de Finneville écrivait, assis à son bureau, au premier étage de son somptueux château. Au-delà des douves, la vue s'étendait jusqu'au village lointain au fond de la vallée. Ce paysage paisible n'était troublé que par le bruit des marteaux et des pioches maniés par les ouvriers qui agrandissaient les salons de la riche demeure.

On frappa à la porte.

-Entrez, Émile.

-Monsieur le baron, les ouvriers vous demandent. Ils viennent de découvrir quelque chose dans l'épaisseur du mur que vous leur avez demandé d'abattre.

Le baron Charles se leva et accompagna son serviteur et maître d'hôtel dans l'escalier. Le salon n'était plus qu'un vaste chantier, le sol couvert de poussière et de gravats.

-Nous avons trouvé cette mallette, monsieur. Elle était cachée dans l'épaisseur même du mur séparant votre salon du fumoir.

Le baron, très étonné, remercia les ouvriers et remonta à son bureau en secouant la poussière qui couvrait le cartable en cuir noir. Assis à sa table, il l'ouvrit. Il contenait un parchemin roulé, retenu par un ruban muni d'un sceau en cire.

Ça paraissait ancien.

Le baron décolla le sceau sans le briser. Il déroula le document. Un texte court, un message étrange et en partie incompréhensible, écrit à la plume d'oie, apparut devant ses yeux. Une écriture harmonieuse à l'encre noire.

Quand tu liras ces lignes, je serai mort sans doute depuis longtemps. J'ai fait une étrange découverte dans la forêt des Grands Ormes. Des pierres de lumière, dotées d'un pouvoir étrange. Elles apparaissent la nuit dans l'eau d'une roche appelée « la baignoire du diable ».

Tu peux t'y rendre à minuit, s'il a plu le ou les jours précédents. Cette découverte peut, si elle est divulguée, provoquer bien des jalousies, mais aussi apporter beaucoup de bonheur. Ma santé ne me permet pas de continuer mes recherches. Je te passe le flambeau.

Par sécurité j'ai écrit l'une ou l'autre précision concernant le phénomène sur un autre parchemin caché au pied d'un arbre à une encablure de l'œil gauche du lion de la même forêt.

Le baron leva les yeux et regarda vers l'horizon. Il était perplexe. Il replia le parchemin et le glissa dans un tiroir de son bureau.


-Émile !

-Monsieur m'appelle ?

-Émile, je crois me souvenir que vous habitez un village à la lisière d'une forêt.

-Oui, monsieur le baron.

-Comment s'appelle cette forêt ?

-Les Grands Ormes, monsieur.

-Y a-t-il un lion dans cette forêt ?

-Que monsieur me pardonne de sourire. Nous ne sommes pas en Afrique, il n'y a pas de lions par ici.

-Cessez de vous moquer de moi, Émile. Je parle de quelque chose, n'importe quoi, qui ressemblerait à un lion.

-Je me souviens d'un rocher solitaire au milieu des bois. Vu sous un certain angle, on devine les yeux et la crinière d'un lion.

-Parfait. Préparez mon véhicule tout-terrain et deux pelles. Nous allons aller saluer votre lion et creuser. À propos, Émile, savez-vous ce que veut dire le mot « encablure » ?

-Oui, monsieur, grâce à mon neveu qui fait du bateau en mer. Une encablure est une distance d'environ deux cents mètres.


Deux heures plus tard, la Land Rover du baron de Finneville passa dans la forêt près d'une maison en bois. Une jeune fille de dix ans, en salopette, jouait sur une balançoire accrochée à une branche d'arbre.

Cette jeune fille, tu la connais, toi qui lis cette histoire, c'est Christine.

Le baron et son chauffeur s'arrêtèrent au carrefour des trois routes. Un chemin mène à gauche vers un grand marécage. Une piste conduit tout droit vers des hauts rochers. Un sentier se perd par collines et vallées dans les bois à droite.

Abandonnant leur véhicule, les deux hommes, armés de leurs pelles, marchèrent un quart d'heure en suivant le sentier. Ils débouchèrent dans une clairière où se dressait un rocher solitaire en forme de pain de sucre de près de vingt mètres de haut. Vu sous un certain angle, on croit voir une crinière de lion.

Tu connais ce rocher si tu as lu ma terrible histoire : « La poupée ». Christine n°23.

Beaucoup d'arbres poussaient à deux cents mètres du rocher. Vu de l'œil gauche du lion, on en comptait bien vingt. Le baron et Émile creusèrent un peu partout, mais ils ne trouvèrent rien. Un peu déçus, ils revinrent au château à la nuit tombée.


Christine était assise sur la planche de la balançoire que son papa a installée pour elle à l'ombre d'un grand arbre, pas loin du hangar où il entrepose son bois. Elle observait la route qui vient du village et prêtait attention au moindre bruit. Elle attendait avec impatience l'arrivée de son amie Myriam, qui venait passer quelques jours de vacances avec elle.

Tantôt, elle avait bien cru que son amie arrivait, mais elle ne connaissait pas ce véhicule tout-terrain, avec deux hommes à bord.

Une heure avant le coucher du soleil, les deux copines furent enfin réunies, une vraie fête pour chacune.

Après le repas du soir, elles se trouvaient dans la chambre de Christine qui venait de prêter son lit à son amie aveugle et, couchée sur un lit de camp, elle attendait la venue de son hibou.

Le rapace se posa sur l'appui de fenêtre, comme presque tous les soirs. Il a appris à notre amie à parler aux animaux. Elle l'appelle Chachou. Il hulula. Christine traduisit pour son amie.

-Un renard veut te parler. Il t'attend assis devant la porte de ta maison.

Chachou s'envola.

Notre amie descendit l'escalier, pieds nus, en pyjama. Elle sourit à ses parents et leur expliqua la raison de son passage. Puis elle ouvrit la porte d'entrée, s'assit contre le mur de la façade et prit le renard sur ses genoux.

-Je t'écoute, dit-elle.

-Trop drôle! fit l'animal. Deux hommes sont venus près du rocher en forme de pain de sucre où j'ai installé ma tanière. Ils ont creusé des trous partout.

-Je me demande ce qu'ils cherchaient, répondit la jeune fille.

-Je le sais, moi, poursuivit le renard. Une mallette noire. Je le sais, car elle se trouve au fond de mon terrier, coincée entre les racines d'un grand arbre.

Christine remonta à sa chambre. Elle raconta à Myriam ce qu'elle venait d'apprendre. Il n'en fallait pas plus pour éveiller la curiosité des deux copines. Elles décidèrent d'aller voir cela demain, munies d'une pelle.


-Émile !

-Oui, monsieur le baron.

-Émile, nous avons creusé des heures pour rien. Vous habitez un village à la lisière de la forêt des Grands Ormes. Connaîtriez-vous un endroit dans ces bois qu'on pourrait qualifier d'étrange ?

-Sans doute, monsieur le baron. Je connais une cabane qui fut la maison d'une sorcière, autrefois. (Lis la terrible histoire : La poupée de la sorcière, Christine 28, si tu oses). Il y a aussi la baignoire du diable...

-Une baignoire? dites-vous Émile.

-C'est une longue et large pierre, couchée et creusée en son centre. Quand il pleut, cela forme un petit bassin d'eau. Les oiseaux viennent s'y rafraîchir. Cette pierre se situe au centre d'un cromlech.

-Un cromlech ? Quel genre d'animal est-ce, Émile ?

-Que monsieur le baron me permette de sourire. Un cromlech n'est pas un animal, mais un cercle de pierres levées, des menhirs.

-Parfait. Quand apparaîtra la prochaine lune ?

-Vendredi soir, monsieur.

-Nous sommes mercredi soir et la nuit tombe. Espérons que demain il pleuvra.


Christine s'éveilla à l'aube. Son amie dormait encore. Elle mit son t-shirt, se glissa dans sa salopette d'aventurière et laça ses baskets. Myriam ouvrit les yeux, hélas sur l'obscurité que les non-voyants connaissent trop bien.

-C'est déjà le matin ?

-Oui, répondit Christine. Après le petit déjeuner, je t'emmène au carrefour des trois routes et de là, au rocher lion où le renard qui m'a parlé hier soir nous attend pour nous montrer son terrier. Puis, si tu veux, on ira se baigner.

Les deux amies partirent, emportant une pelle avec elles. Deux heures plus tard, elles s'arrêtèrent à l'ombre du rocher lion. Elles virent des trous partout dans la clairière. Le renard les attendait, assis sous un grand arbre.

-Où se trouve cette mallette ? lui demanda Christine.

-Au fond de mon terrier. Tu peux aller la prendre. Ma tanière est vide.

Notre amie se mit à plat ventre et enfonça la main droite dans le trou obscur. Après plusieurs tâtonnements, elle sentit une poignée en cuir. Elle tira, mais le cartable semblait coincé entre les puissantes racines de l'arbre.

-Je vais devoir creuser un peu et élargir l'entrée, dit la jeune fille.

-Tu peux, accepta le renard.

-Comment puis-je t'aider ? demanda Myriam.

-Pour l'instant ça va, répondit Christine en donnant des coups de pelle au fond du terrier. Voilà. Je l'ai. Tiens, prends le cartable et tâche déjà de l'ouvrir.

-Il contient un parchemin, annonça Myriam. Je reconnais la consistance et l'épaisseur du papier au bout de mes doigts.

Les deux amies s'assirent l'une à côté de l'autre, sous le grand arbre. Christine déplia le document écrit à la plume d'oie.

-Il n'y a que trois lignes, dit-elle.

« Le lieu où tu pourras découvrir les pierres de lumière est la baignoire du diable, au milieu du cromlech de la forêt. Il s'y passe un phénomène étrange à la pleine lune à minuit s'il a plu le ou les jours précédents. »

-Un cromlech, dit Myriam, je me demande ce que cela peut être.

-Je n'en sais rien, réfléchit Christine. On regardera au dictionnaire ou sur Internet.


Les deux amies allèrent se baigner dans un étang voisin, puis revinrent à la maison bien rafraîchies dans leurs vêtements humides.

Elles apprirent, en consultant un moteur de recherche depuis l’ordinateur familial, qu'un cromlech est un ensemble de pierres levées, mises en rond. On en trouve un peu partout en Europe, mais surtout en Bretagne.

-Papa, demanda Christine, peut-on trouver un cromlech dans nos bois ?

-Un cromlech ? Ça a combien de pattes ?

-Ce n'est pas un animal, monsieur, affirma Myriam en souriant. Nous venons d'apprendre que ce sont des menhirs mis en rond.

-Je connais la baignoire du diable, répondit le père de notre amie. Les gens y allaient autrefois, mais aujourd'hui, le site abandonné est envahi par les plantes. Cette baignoire, dite du diable, est un gros rocher couché et creux. Il se remplit d'eau s'il pleut. Il est entouré de dix ou douze autres pierres levées.

-Quand apparaîtra la prochaine pleine lune, papa ?

-Demain soir.

Christine serra la main de son amie.

-Allons déjà repérer les lieux cet après-midi, dit-elle.


-On annonce de la pluie pour ce soir et demain toute la journée, monsieur le baron.

-Parfait, Émile. Demain soir nous irons à ce cromlech à la nuit tombée.


Christine et Myriam quittèrent la maison en début d'après-midi. Les deux amies marchèrent d'abord près d'une heure et demie sur l'autre route en terre, celle qui mène au grand lac.

Après ce long trajet, parcouru en bavardant, elles arrivèrent à l'endroit où commence un sentier qui va par collines et vallées à ce lac.

Après cinquante mètres, Christine s'arrêta et scruta à droite avec attention.

Notre amie aperçut des pierres levées. Le lieu était envahi de ronces, d'orties et de lierre.

Elle prit le canif qu'elle garde toujours dans la poche de sa salopette. Elle ouvrit la lame scie et se coupa un solide bâton. Puis, recommandant à Myriam de la suivre, elle se fraya un passage dans cette espèce de jungle.

Elles arrivèrent au milieu du cromlech. Christine fit toucher les pierres à son amie, puis elles remuèrent l'eau qui stagnait au fond de la baignoire du diable.

-Glacial, commenta Myriam. On dirait que le diable apprécie les bains très froids.

-Peut-être qu'il a trop chaud en enfer, répartit son amie avec humour.

-Bien, on sait où revenir. Il ne manque plus que la pluie.

-Il me semble qu'elle arrive, annonça Myriam. Écoute, le vent se lève. Et j'ai senti trois gouttes tomber sur moi.

Les amies revinrent à la maison trempées jusqu'aux os par la violente averse qui les surprit au fond des bois.  


-La voiture est prête, monsieur le baron. À quelle heure partons-nous ?

-Il nous faut une heure pour parvenir à votre village, Émile, et deux autres heures sur des mauvaises pistes dans les bois. Nous partirons juste après le repas du soir. Nous avons de la chance, la pluie cesse de tomber. La pleine lune sera belle dans la nuit étoilée.


-Le problème, expliqua Christine à son amie, c'est que mes parents ne me permettent pas d'aller seule dans les bois la nuit. Heureusement, ils ne viennent jamais dans ma chambre quand ils montent se coucher. Nous allons sortir par la fenêtre, je vais t'aider.

-Tu emportes une lampe de poche ?

-Non, dit Christine. Ce ne sera pas nécessaire avec la pleine lune. Et puis, tu m'accompagnes. Tu me guideras. Et à tes côtés, je ne suis pas seule...

Les deux filles se glissèrent par la fenêtre ouverte jusque dans la corniche, puis sur le toit du hangar où le papa entrepose son bois. De là, en se glissant par une lucarne, puis de poutre en poutre, elles arrivèrent dans l'herbe près du chemin.


Elles suivirent la longue route en terre qui mène au cromlech. Elles ne parlaient pas. Elles écoutaient la forêt endormie. Elles entendirent le hululement d'un hibou ou d'une chouette ici ou là et parfois les glapissements d'un renard.

Il était près de onze heures du soir quand elles arrivèrent au passage que Christine leur avait frayé la veille à coups de bâton. L'herbe et les ronces, couvertes de gouttes de pluie, n'avaient pas eu le temps de sécher.

Elles passèrent à côté de la baignoire du diable, remplie d'eau noire très froide. Le disque pâle de la lune s'y reflétait. Elles dépassèrent les derniers menhirs et s'assirent contre un arbre, toujours en silence, impressionnées par leur aventure et invisibles dans l'obscurité de la nuit. Leurs cœurs battaient fort. Elles n'étaient guère rassurées.

Les deux amies ne virent pas la Land Rover arriver. Émile éteignit les phares pour les cent derniers mètres. Puis il coupa le moteur. Laissant le véhicule au milieu du chemin, le baron et lui marchèrent les derniers mètres en silence, eux aussi.

-Nous y voici, monsieur le baron, souffla Émile.

Ils s'arrêtèrent et se baissèrent en vue de la baignoire du diable. Ils ne remarquèrent pas, et ne savaient d'ailleurs pas, la présence de Christine et de Myriam assises juste de l'autre côté du cromlech.


À minuit juste, les deux amies entendirent la voix coassante et grave d'un gros crapaud qui arrivait. Elles se levèrent.

-Que dit-il ? demanda Myriam.

-Allons-y, allons-y. Suivez-moi, suivez-moi, répondit Christine presque tout bas.

Le crapaud, qui venait du fond des bois, passa à un mètre à peine des deux filles. Il était suivi par un rang de douze grenouilles vertes, qui elles aussi coassaient en sautant.

Le crapaud se dirigea vers la baignoire du diable et l'escalada. Il s'arrêta sur le bord et glissa une patte dans l'eau, ce qui provoqua un petit rond de vaguelettes. Les douze grenouilles se séparèrent. Ce devait être des reinettes. Elles se hissèrent chacune sur un menhir et sitôt parvenues au sommet elles se tournèrent vers la lune et chantèrent.

-Que disent-elles ? souffla Myriam.

-Elles parlent au crapaud, expliqua Christine. Elles l'appellent « le vieux sage ». Elles disent qu'elles sont prêtes. Et maintenant elles crient : "Venez, venez, approchez, approchez".


-Vous voyez ces grenouilles, monsieur le baron ?

-Oui, Émile. Je les entends, ainsi qu'un crapaud installé au bord de la baignoire du diable. Je donnerais cher pour comprendre ce qu'ils se disent.

-Oui. Oh! voyez, il vient de toutes petites grenouilles. Écoutez leurs sifflements aigus.


Un train de minuscules grenouilles passa presque aux pieds de nos amies. Elles s'arrêtèrent, elles aussi, près du vieux sage, au bord de l'eau de la baignoire.

Un écureuil s'approcha. Il tenait un fruit de couleur foncée et de la taille d'une noix, entre ses pattes. Il confia le fruit au crapaud puis s'enfuit de branche en branche.


-Vous avez vu, Émile ? Le crapaud a reçu un fruit. On dirait une prune ou une mirabelle. Tiens, il le jette dans l'eau.

Une fumée grise, comme un brouillard, se forma à la surface de la baignoire du diable. Elle se dissipa lentement.

Aussitôt apparurent, au fond de l'eau, des petits cristaux qui brillaient, reflétant la lumière de la pleine lune.


Christine tentait d'expliquer le phénomène à son amie. Elle parlait presque tout bas pour ne pas déranger le merveilleux spectacle.

Les petites grenouilles passèrent ensuite l'une après l'autre devant le vieux sage et celui-ci plaçait chaque fois un cristal, une petite pierre de lumière, sous chacune de leurs paupières.

-C'est fabuleux, dit Christine. Beaucoup de petites grenouilles naissent presque aveugles. Ici, le vieux sage glisse une pierre de lumière dans leurs yeux, et puis elles s'en vont en criant :

-Je vois, je vois, je vois...

-Christine.

-Oui, Myriam.

-Christine, dit son amie en lui serrant le poignet. J'ai perdu la vue, je te l'ai dit, à l'âge de six ans, à cause d'une maladie rare qui m'a rendue aveugle. Tu sais parler aux animaux. Demande à ce crapaud s'il veut bien mettre une pierre de lumière dans mes yeux.

Notre amie, émue par la folle espérance de Myriam, s'avança vers le vieux sage et lui parla.


-Monsieur le baron, regardez, là, à droite. Deux jeunes filles assistent elles aussi à ce spectacle étrange que nous venons de voir.

-Oui, Émile. Et on croirait bien que l'une d'elles est capable de parler au crapaud. L'autre fille me paraît aveugle.

-En effet. Son amie la tient par le bras. Je ne comprends pas ce qu'elle dit. Approchons.


-Vieux sage, dit Christine au crapaud. Mon amie est non-voyante. Pourrais-tu glisser un cristal, une de ces pierres de lumière, dans ses yeux ?

-Tu sais parler aux animaux? 

-Oui, j'ai appris, pour les quatre pattes, les deux pattes et les serpents.

-Je n'ai jamais tenté l'expérience avec des humains, dit le crapaud.

-Tu veux bien essayer ?

-Je vais demander l'avis des douze grenouilles.

Un concert de coassements suivit.

-Que disent-elles ? demanda Myriam dont le cœur battait à tout rompre.

-Attends, dit Christine... Voilà. Les grenouilles acceptent, mais nous devons subir une épreuve. Un test. Une énigme à résoudre.


Le vieux sage coassa un long moment. Christine traduisait tout haut, mot à mot, ce qu'il disait à son amie, sans se douter qu'à quelques pas de là, le baron et Émile entendaient et écoutaient en silence, invisibles dans la nuit.

-Trois animaux sont assis côte à côte sur une pierre plate, dit le crapaud. Ce sont des grenouilles et des crapauds. Devine si ce sont trois grenouilles, trois crapauds, deux grenouilles et un crapaud ou une grenouille et deux crapauds. Tu peux les interroger, mais, attention, les grenouilles mentent toujours alors que les crapauds disent toujours la vérité.

Le vieux sage se tut.

-Que dit le premier ? demanda Christine.

-Il te répond, mais tu n'as pas entendu.

-C'est triché! s'impatienta notre amie. Que dit le deuxième ?

-Il dit : Le premier a dit qu'il est un crapaud, c'est un crapaud et je suis un crapaud.

-Et que dit le troisième ?

-Il dit : Le premier a dit qu'il est une grenouille et je suis un crapaud.

-Je ne vois vraiment pas la réponse, avoua Christine à son amie.

-Moi non plus, regretta Myriam, après avoir réfléchi.


Toi qui lis cette histoire, tu trouves ? Relis bien tout, et réfléchis...


-Bonsoir mesdemoiselles, dit le baron en faisant un pas en avant pour apparaître dans la lumière de la lune.

 Christine et Myriam sursautèrent.

-Ne craignez rien. Je me présente. Baron Charles de Finneville. Et voici Émile, mon fidèle chauffeur et maître d'hôtel. Jeunes filles, je crois connaître la réponse au problème que l'on vous pose. Les grenouilles mentent toujours. Donc, quand on les interroge, elles prétendent être des crapauds. Les crapauds disent toujours la vérité. Donc eux aussi se déclarent crapauds.

-D'accord, dit Christine.

-Donc, poursuivit le baron, le premier animal, qu'il soit grenouille ou crapaud a déclaré être un crapaud.

Les deux amies écoutaient en silence.

-Le deuxième animal dit : le premier a dit qu'il est un crapaud. Nous savons que c'est vrai. Donc le deuxième dit la vérité. Donc c'est un crapaud. Il ajoute ensuite : c'est un crapaud. Donc le premier est un crapaud.

-Merci, dit Myriam avec un beau sourire.

-Et le troisième ? interrogea Christine.

-Il prétend que le premier a dit être une grenouille. Nous savons que c'est impossible, continua le baron. Donc le troisième ment. Donc il est une grenouille.

Christine remercia à son tour puis se tourna vers le vieux sage.

-Crapaud, crapaud, grenouille, dit-elle.

-Bravo! Que ton amie se couche dans la baignoire du diable.


Myriam se glissa dans l'eau glacée tout habillée. Elle grelottait. Christine lui tenait les mains pour l'encourager, puis, voyant que cela ne suffisait pas, elle entra dans l'eau à son tour pour serrer son amie dans les bras et la réchauffer un peu.

-Préviens ta copine que cela va piquer, dit le vieux sage. Que surtout elle ne frotte pas ses yeux. Cela ne durera que trois minutes.

Le vieux crapaud posa une pierre de lumière sous les paupières de Myriam. Ces petits cristaux semblaient brûlants. La jeune fille ferma les yeux. Elle pleurait.


-J'admire ces deux amies qui s'entraident, monsieur. Comme elles sont courageuses!

-Oui, fit le baron, ému.

Le vieux sage partit vers le bois, suivi par les douze grenouilles qui venaient de redescendre au pied des douze menhirs.

-Merci, cria Christine en langage grenouilles.

Puis elle se tourna vers son amie.

-Tu as encore mal ?

-Ça va mieux, rassura Myriam.

-Alors, sortons de l'eau. Tu peux ouvrir les yeux.

La jeune fille les ouvrit.

Un instant de silence sembla durer une éternité.

-C'est raté, dit Myriam d'une petit voix.

-Tu ne vois rien ?

-Que du noir, sauf une sorte de disque laiteux, comme une assiette, là-haut.

-Tu vois, Myriam, cria Christine. Ce disque, c'est la lune. Tu vois. Tu as oublié car tu étais petite quand tu l'as vue la dernière fois. Regarde vers moi, mon amie.

-Christine, je te reconnais !

Tu te souviens que Myriam a vu Christine une minute, lors de l'épisode précédent de leurs aventures : La poupée de la sorcière. Christine n°28.

-Je vois! je vois! je vois !

-Quel bonheur! lança Christine.

-C'est fabuleux, déclara le baron. Émile, allez chercher la voiture. Nous allons reconduire ces jeunes filles chez elles. Elles tremblent de froid.


Sitôt arrivés chez les parents de Christine, ceux-ci invitèrent le baron et Émile à rester. Myriam téléphona à ses parents pour leur annoncer la bonne nouvelle. Ils vinrent aussitôt rejoindre leur fille.

Le baron envoya Émile chercher du champagne dans la cave de son château et l'on fit la fête presque toute la nuit chez Christine.

Myriam rayonnait de bonheur.