Christine
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La forêt interdite

     Quel beau temps ce matin-là!

Christine partit de la maison juste après le petit-déjeuner. Maman lui donnait congé pour la journée. Elle décida d'aller voir les cinq petits de son renard. Elle les avait rencontrés une première fois quand ils venaient de naître, mais à présent, ils devaient avoir grandi.

Notre amie de dix ans coiffe ses cheveux bruns en deux longues tresses qui descendent jusqu'à sa ceinture. Elle portait ce jour-là, comme souvent, une vieille salopette bien usée, mais qu'elle aime pour courir dans les bois, un t-shirt à peu près blanc et des tennis brunies par la boue des chemins. Elle emportait deux tartines bien garnies pour midi, emballées dans un papier argenté, une gourde pleine d'eau et son canif dont elle ne se sépare jamais lors de ses randonnées.

Après avoir marché près de deux heures, elle arriva au carrefour des trois routes qu'elle connaît bien et emprunta le sentier vers la droite. Il s'enfonce dans les bois, allant par collines et vallées.

Elle parvint à un embranchement. Là, fallait-il prendre à gauche ou à droite ? Son renard n'était pas là pour lui indiquer la route, cette fois-ci.

Christine possède ce don merveilleux de savoir parler aux animaux et de les comprendre. Les quatre pattes, les deux pattes et les serpents. 

Elle choisit la droite... Il fallait aller à gauche...


Après avoir encore marché une bonne demi-heure, elle s'arrêta devant une vieille clôture de fils barbelés aux picots rouillés. Certains piquets pourris se dressaient encore, mais de travers.

Sur un arbre, devant elle, se trouvait un écriteau à peine lisible: « Forêt interdite ».

Notre amie demeura stupéfaite.

-Forêt interdite... Comment est-ce possible ? murmura-t-elle. Je ne me souviens d'aucun endroit par ici où je ne peux pas aller.

Christine habite au milieu des bois depuis toute petite. Son papa bûcheron y travaille. La maison est située à deux heures du village. Elle étudie chez elle, avec sa maman car l'école est trop loin. Elle n'y va qu'en juin pour passer les examens. Elle aide parfois son père en travaillant avec lui, en ramassant les bûches qu'il tronçonne et en les entassant le long de la route. Elle a parcouru cette forêt de part en part et en connaît tous les chemins. Mais ici, elle n'était jamais venue.

Elle aperçut un lièvre. Il sortait de la zone de forêt interdite. Elle l'appela, le prit dans ses bras et le caressa. Elle lui demanda ce qu'on trouvait de l'autre côté des barbelés.

-Des arbres, des herbes et des fleurs. Surtout des carottes sauvages.

-Bien, dit Christine. Rien d'autre ?

-Oh, non, chuchota le lièvre. Rien qui m'intéresse en tout cas.

Elle laissa partir le petit animal, décidément pas fort malin.

Un corbeau installé sur une branche regardait notre aventurière de son œil sombre.

-Eh, toi! appela Christine. Tu survoles souvent cette forêt interdite ?

-Ah, elle est interdite ? s'étonna le corbeau.

-Oui, mais pas pour toi. Elle l'est pour moi.

-Je ne comprends pas pourquoi, continua le corbeau. On voit des arbres, des fleurs, et puis plus loin, un grand bâtiment vide.

-Un grand bâtiment vide?

Le corbeau s'envola.       

Notre amie n'osa pas franchir la clôture pour aller explorer plus loin avant d'en savoir plus, mais elle se promit de revenir bientôt, et de découvrir cet endroit mystérieux. Sa curiosité était à vif.


Pendant deux jours, sa maman l'occupa avec des devoirs et des leçons pour l'école. La période des examens approchait. 

Le deuxième soir, elle interrogea son hibou. Elle l'appelle Chachou depuis sa première rencontre avec lui à l'âge de trois ans. Il lui a révélé son don de pouvoir communiquer avec les animaux et lui a appris à l'utiliser.

Chachou ne survolait guère cette zone de forêt interdite. Il se rendit aussitôt à l'endroit où notre amie avait découvert l'écriteau.

Il revint une heure plus tard.

Il lui raconta qu'il venait de vivre une aventure incroyable et terrifiante. Il décrivit d'abord les grands arbres si majestueux sous la lumière de la lune. Puis il évoqua le bâtiment.

Il parla d'une grande construction bien éclairée. Et de trois grands oiseaux, plus grands que des aigles, posés dans l'herbe, immobiles.

-Tout à coup, ces affreux monstres s'envolèrent et me poursuivirent. Je me suis caché dans un arbre entre deux branches. Je tremblais de peur. Ils poussaient des cris épouvantables. Heureusement, ils ne m'ont pas aperçu. Ils sont partis au loin. J'ai pu sortir de ma cachette, ajouta Chachou. Ne va pas à cet endroit effrayant.

En s'endormant, notre amie songea que danger ou pas, poussée par sa curiosité, demain, elle irait découvrir les lieux.

Et toi? Tu irais voir aussi? Ta curiosité aveugle parfois ta prudence?


Elle se leva avec les premiers rayons du soleil. Elle passa sa salopette, son t-shirt et ses baskets. Elle arrangea ses deux longues tresses et descendit déjeuner. Son père lui demanda de travailler avec lui dans la forêt. Christine lui fit un beau sourire et accepta volontiers. Le projet de forêt interdite était remis à un autre jour. Mais tant pis.

Notre amie aime bien aider son père. Et puis elle sait qu'ils ne sont pas très riches chez elle. Papa ne peut pas s'offrir l'aide d'un ouvrier et maman s’occupe de la gestion des commandes, donc il emmène sa fille avec lui chaque fois qu'un coup de main s'avère nécessaire. Et Christine est très heureuse et fière de travailler avec lui.

Toute la matinée elle ramassa les bûches qu'il coupait avec la tronçonneuse. Elle chargea une partie dans une remorque et aligna le reste le long du chemin.

Pendant la pause de midi, elle lui demanda s'il existait des animaux, des oiseaux, plus grands que des aigles. Notre amie avait bien songé aux autruches, mais elles ne savent pas voler.

Papa évoqua les vautours, mais on n'en voit jamais par ici, dit-il.

-En Amérique du Sud, on peut observer des condors. Ils planent avec majesté dans la Cordillère des Andes, mais ces oiseaux-là ne viendront jamais chez nous. Ils vivent de l'autre côté de la terre.

-Y a-t-il dans nos bois une forêt interdite ? insista Christine.

-Non, pas que je sache. Tu peux aller partout.


Le mystère demeurait entier. Quatre jours plus tard, elle se leva de bonne heure, s'habilla de la même manière que d'habitude, avala son déjeuner et but son verre de lait. Ni travail, ni devoirs, ni leçons. Chic ! Elle se fit un pique-nique qu'elle emballa dans un papier et qu'elle glissa dans la poche de sa salopette à côté de son canif. Elle remplit une gourde d'eau et l'accrocha à sa ceinture. Puis elle partit pour la forêt interdite.

Après une marche de près de trois heures, elle arriva à l'endroit des barbelés rouillés. Le panneau indiquant « Forêt interdite » était toujours visible, accroché à un arbre à droite du sentier. Les fils de fer détendus barraient le chemin. Elle se glissa sous la clôture et poursuivit sa route.

La piste disparaissait sous les herbes hautes, les ronces et les orties. Il lui fallut enjamber un arbre déraciné dont le tronc barrait le chemin. Tout une gymnastique. La progression n'était vraiment pas facile.

Elle s'arrêta vers midi devant une autre clôture de barbelés. Les piquets de celle-ci étaient solidement enfoncés dans le sol. Ils se tenaient bien droits. Cinq niveaux de fils de fer, garnis d'épines, bien tendus et pas rouillés du tout, entouraient une vaste clairière rectangulaire. 

Christine observa les lieux un instant en silence.


De l'autre côté de cette barrière, l'herbe était coupée. Notre audacieuse aventurière vit deux grands bâtiments. Ils ressemblaient à des entrepôts d'usine. Ils étaient reliés entre eux par une construction plus basse d'un seul étage. L'ensemble formait la lettre « H ». 

Notre amie scruta les lieux un bon moment, la main posée sur un des piquets de la clôture. Cachée par les arbres près desquels elle se trouvait, elle ne risquait pas de se faire repérer. Elle ne vit personne. On n'entendait que le sifflement du vent, assez fort ce jour-là et le chant des oiseaux.

Impossible de passer ces fils de fer tendus à l'extrême. Impossible de se faufiler sous ceux du bas. Impossible de sauter par-dessus ceux du haut.

Notre intrépide gamine repéra, à quelques mètres de là, un arbre assez grand. Elle calcula qu'en y grimpant, et en se tenant aux branches, elle sauterait dans l'herbe, au-delà de la clôture. Elle s'assura qu'elle pourrait revenir par le même chemin en saisissant à nouveau les branches et en les escaladant.

Très agile, elle se hissa là-haut sans difficulté. Elle passa par-dessus les barbelés puis se laissa glisser sur le sol. Elle regarda encore une fois, accroupie, au loin, mais ne décela aucun mouvement.


Elle courut dans l'herbe jusqu'au bâtiment. Elle venait de repérer une échelle métallique qui montait jusqu'au toit au coin d'un des deux hangars, celui qu'elle avait choisi de visiter en premier. Tout en haut se trouvaient des fenêtres d'où elle pourrait inspecter l'intérieur, juste en se penchant.

Elle entreprit l'escalade des échelons d'acier. Cela devint vite vertigineux, mais arrivée tout en haut, et en se tenant bien aux barreaux, elle inclina la tête de côté et regarda. Déception, l'entrepôt était vide.

Elle redescendit par l'échelle en fer et contourna la construction. Elle aborda la zone de bureaux qui formaient la bande horizontale de la lettre « H » et reliaient un hangar à l'autre. Une porte-fenêtre était ouverte. Christine entra.


Elle parcourut lentement les pièces vides. Elle dépassa quelques armoires métalliques ouvertes, des chaises, un ventilateur, un vieil ordinateur éteint, un téléphone hors d'usage et beaucoup de poussière partout. 

Elle s'arrêta devant une porte monumentale, donnant accès au second hangar. Il lui fallut rassembler toutes ses forces pour réussir à la faire glisser de quelques centimètres à peine. Elle parvint à se faufiler dans cet autre entrepôt.

Il était aussi vide que le premier.

Elle fit quelques pas sur le béton. Elle regarda soigneusement à gauche, à droite et par terre. Elle aperçut une étrange vis et son écrou en cuivre ou en laiton. Elle les trouva jolis, dorés. Elle les ramassa et les glissa dans la poche de sa salopette à côté de son canif et son pique-nique.


Un peu déçue, elle s'apprêtait à sortir du bâtiment, quand elle entendit un grand bruit. Elle regarda par la fenêtre. Un hélicoptère venait d'atterrir dans la pelouse!

Christine se précipita vers la sortie, mais trop tard, impossible de se sauver par la porte-fenêtre entrouverte. Deux autres hélicoptères se posèrent de l'autre côté du bâtiment. Notre amie, cernée, ne pouvait plus quitter les bureaux dans lesquels elle se trouvait sans se faire repérer.

Elle comprenait à présent l'erreur de son hibou. Il avait cru que les hélicoptères étaient des rapaces féroces qui le poursuivaient.

Son cœur se mit à battre la chamade. Elle tremblait de peur. Elle vit des hommes armés de révolvers et de mitraillettes s'approcher en silence. La seule solution était de se cacher.

Elle se précipita en se baissant, puis à quatre pattes, vers un des bureaux les plus éloignés de l'entrée et ouvrit une armoire en métal, vide heureusement. Elle s'y engouffra, terrorisée, et s'assit contre le fond. Puis, en tirant avec les doigts, elle referma la porte, ne laissant qu'une fente étroite pour pouvoir continuer à observer.

Elle attendit, écoutant dans le noir, les bruits que faisaient les visiteurs. Ils entrèrent dans la pièce. Ils étaient deux. L'un d'entre eux ouvrit une fenêtre et cria.

-Dépêchez-vous, nous n'avons que trente-trois minutes.

Puis il se tourna.

-Asseyez-vous, dit-il.

Les deux hommes se tenaient à présent de chaque côté d'une table tout près de l'endroit où notre amie espérait leur échapper. Elle transpirait d'angoisse. Elle avait peine à respirer. Des larmes coulaient sur ses joues. 


Un des individus se tourna vers son interlocuteur.

-Bon, où se trouve l'argent ?

-Ici, répondit l'autre.

Christine entendait tout et observait par la fente de l'armoire presque fermée.

Elle dévisagea un homme d'environ quarante ans. Il avait une curieuse moustache noire qui faisait le tour de sa bouche. L'autre posa une valise de type porte-documents sur le bureau. Il l'ouvrit. Elle était remplie de billets de banque. Des grosses coupures. 

Le moustachu prit plusieurs liasses en main. Il les regarda, les palpa, les fit claquer les unes contre les autres entre ses doigts. Puis il les rangea et referma la mallette.

-Bien. Le contrat me semble respecté.

Il se dirigea de nouveau vers la fenêtre.

-Il reste vingt-trois minutes. Dépêchez-vous de sortir les trois caisses.

-Quand pensez-vous pouvoir me faire encore une livraison? demanda l'autre. Assez vite, si possible. J'ai des clients exigeants et pressés.

-Je consulte mes notes, répondit le premier.

Il ouvrit un ordinateur portable dont le couvercle était orné de bandes obliques rouges et noires.

-Demain à quatorze heures quinze. Nous aurons quarante et une minutes entre le passage des satellites américains. Ce sera suffisant pour vous livrer trois autres caisses.

-Alors entendu. À demain à quatorze heures quinze.


Christine vit l'homme qui avait apporté l'argent quitter la pièce. L'autre, le moustachu, se dirigea de nouveau vers la fenêtre.

-Douze dernières minutes, cria-t-il. Regagnez déjà les hélicoptères. On évacue la zone, sinon on risque de se faire repérer par les satellites.

L'homme à la moustache, resté seul, referma son ordinateur et le glissa dans un étui souple à bandes rouges et noires lui aussi. Il fit trois pas vers l'armoire où Christine se tenait cachée. Il en saisit la poignée.

Notre amie se mit à trembler encore plus fort.

Ça y est. L'homme qui portait un révolver à la ceinture allait la voir et l'abattre. Deux de ses complices entrèrent dans la pièce.

-Chef, venez. On vous attend. Le déchargement est terminé.

-Je viens. Après tout, je préfère ne rien laisser ici.

Il lâcha la poignée de l'armoire, prit la valisette contenant l'argent, l'ordinateur, et quitta la pièce.


Christine sortit quelques instants plus tard, rongée par la peur et l'angoisse. Il ne restait plus que la poussière sur les meubles et un grand silence. L'herbe de la pelouse à gauche et à droite brillait au soleil. Les hommes et les hélicoptères avaient disparu.

Elle traversa l'enfilade des bureaux. Elle aperçut une petite fente dans la porte monumentale du hangar visité en arrivant. Malgré sa peur elle s'y glissa sans bruit.

Elle vit trois énormes caisses en bois, très lourdes. Elle n'aurait pas pu les déplacer. Ces caisses mesuraient plusieurs mètres de longueur, de largeur et de hauteur. Elles étaient bien fermées. Rien n'était écrit sur les planches.

Notre amie sortit du bâtiment, courut dans l'herbe et rejoignit l'arbre repéré en venant pour franchir la clôture en s'accrochant aux branches.

De là, elle retourna chez elle et arriva à la nuit tombante. Il était temps. Ses parents ne veulent pas que notre amie se balade seule, la nuit, dans les bois.


Elle leur conta aussitôt tout ce qu'elle avait vu et entendu et se fit gronder. Elle n'aurait pas dû entrer dans ces bâtiments qu'elle ne connaissait pas. Un jour sa curiosité la mènerait à la catastrophe...

Les parents avertirent le policier du village que quelque chose se tramait au cœur de la forêt. Il promit de faire rapport à ses supérieurs.

Une heure plus tard, le téléphone sonna chez Christine. Elle était déjà montée se coucher, mais elle se releva et sortit de sa chambre pour écouter la conversation.

Je parie que toi qui lis ce récit, tu fais cela aussi chez toi quand le téléphone sonne le soir à ta maison.

La maman répondit.

-Elle dort déjà, commandant François.

Notre amie connaît bien ce militaire. Elle l'a déjà rencontré plusieurs fois. Ses soldats s'entraînent parfois dans la forêt où elle habite. Il lui arrive alors de grimper dans un arbre et de les observer.

-Maman, je ne dors pas encore, cria-t-elle.

-Bon, alors viens.

Christine descendit l'escalier quatre à quatre et prit le téléphone.

-Bonsoir commandant, fit notre amie en souriant.

-Il semble que tu as fait une découverte extrêmement importante, jeune fille. J'ai reçu l'ordre de venir te chercher, ce soir encore, et de t'emmener au camp militaire. Ne bouge pas de chez toi.

-Je serai prête, répondit Christine.


Le militaire arriva. Il expliqua aux parents que pour la sécurité de leur fille, elle ne reviendrait probablement pas avant le lendemain. Il fit asseoir notre aventurière bien fatiguée dans son véhicule tout-terrain et l'emmena dans la nuit.    

Ils entrèrent au camp militaire vers vingt-trois heures. Christine venait de s'endormir sur son siège. Le commandant la réveilla devant le bâtiment principal.

-Allez, Christine, courage. Je te conduis chez mon supérieur, le colonel. Il commande toute la base.

Une grande agitation régnait. Notre amie vit des groupes de soldats qui couraient ici et là et aperçut les lumières allumées partout malgré l'heure tardive.

-Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

-Je ne sais pas vraiment. Ce que tu as découvert semble secret et grave. Le colonel t'attend. Beaucoup d'hommes sont mobilisés.

Ils traversèrent de nombreux couloirs, croisèrent plusieurs militaires qui saluaient leur commandant et arrivèrent devant une double porte bien fermée. Celui-ci l'ouvrit et fit entrer notre amie. Elle s'avança, assez impressionnée, vers le bureau du chef des para-commandos.

-Voici Christine, mon colonel.

-On me parle souvent de toi, jeune fille. Vive, débrouillarde, énergique, paraît-il. Veuillez nous laisser, commandant. Venez la chercher dans une demi-heure. Préparez-lui une chambre. Elle ne quittera pas le camp cette nuit, pour sa sécurité.


Christine se tenait debout au milieu de la pièce. Le colonel s'approcha et la regarda de haut en bas. Il observa la bretelle de sa salopette et examina une médaille qui s'y trouvait.

-Je connais cette décoration. Quand l'as-tu reçue ?

-C'est votre médaille du courage. Votre prédécesseur me l'a remise parce que j'avais sauvé le commandant François et ses soldats faits prisonniers par des bandits.

(Découvre ou relis: Opération bébé-crapaud. Christine 22.)

-Bravo! Tu as du cran. Raconte-moi ta découverte. Mais juste avant, je te présente ce monsieur.

Assis dans un fauteuil dans un coin sombre, un homme attendait en silence. Notre amie se tourna vers lui. Il se leva.

-Bonjour jeune fille. Pas trop fatiguée ?

Il s'exprimait en français avec un accent étranger.

Christine répondit avec un sourire timide.

-Bien, nous t'écoutons.

Elle décrivit les bâtiments, les hélicoptères, les deux hommes, l'ordinateur rouge et noir, l'argent, les caisses, tout ce qu'elle avait pu observer. Elle tenta ensuite de répondre à de nombreuses questions. Combien d'hommes y avait-il en tout ? Portaient-ils des uniformes ? Quel type d'armes avait-elle vu ? Quelle couleur avaient les hélicoptères ? 

Hélas, cachée dans l'armoire, elle n'avait pas vu grand-chose.

Tout à coup elle se rappela la vis et l'écrou toujours enfoncés dans la poche de sa salopette. Elle les donna au colonel. L'homme à l'accent étranger se leva et observa l'objet avec soin.

-Cette jeune fille a fait une découverte encore plus importante que ce que je croyais, dit-il. Elle a de la chance de ne pas s'être fait repérer. Ces escrocs n'auraient pas hésité une seconde à l'abattre s'ils l'avaient vue. Il faut aller là-bas demain, avant l'heure du rendez-vous pour surprendre ces monstres. Ils font commerce avec la mort. Ce qu'ils vendent tue et blesse des milliers de gens, souvent des enfants, dans le monde.

-Nous pourrions partir dans une heure, calcula tout haut le colonel.

Puis il se tourna vers Christine dont les yeux se fermaient de fatigue.

-Nous partirons demain à l'aube. Commandant François, entrez. Trouvez pour cette jeune fille une chambre libre. Lever demain à cinq heures. Sa nuit sera courte. Départ à six heures avec deux camions chargés de volontaires. Je vous accompagnerai.

Il se tourna vers notre amie.

-Ce que tu as vu est un secret absolu. Tu ne peux en parler à personne. Pas même aux soldats que tu connais. Même plus à tes parents. D'ailleurs, tu vas rester avec nous pour la nuit pour ta sécurité.


Le commandant conduisit Christine de couloir en couloir jusque devant une porte qu'il ouvrit.

-Voilà. Tu peux dormir là. Il est plus de minuit. Je viendrai t'éveiller vers cinq heures. Tu n'as besoin de rien ? Bonne nuit.

Il referma la porte. 

Notre amie regarda un instant par la fenêtre. Elle aperçut des soldats qui couraient et d'autres qui marchaient sous les lumières extérieures. Elle ferma les tentures, retira ses baskets et se coucha en t-shirt et en salopette. Elle s'endormit presque aussitôt.


Elle s'éveilla soudain parce qu'on frappait à sa porte.

-Christine! Commandant François. Il est cinq heures quart. Lève-toi vite. Courage, jeune fille.

Notre amie sauta du lit, attacha ses baskets et sortit. Elle refit ses deux tresses en marchant dans le couloir.

Elle entra dans un vaste réfectoire. Elle vit des soldats partout. Des centaines. Elle marcha jusqu'au buffet de la cantine et comme les autres, prit un plateau. Elle entendit parler derrière elle.

-On engage des gamins maintenant dans cette caserne...

Elle se retourna car elle venait de reconnaître la voix du soldat Bertrand, un des militaires qu'elle connaît bien, pour l'avoir souvent rencontré quand ils s'entraînent dans la forêt où elle habite.

-Oh ! Salut Christine, dit-il. Hé, Robert, regarde, notre amie des bois. Je croyais voir un gamin. De dos, avec ta salopette, on te prend pour un garçon.

Christine rougit de plaisir. Elle rêve parfois de ressembler à un garçon, mais préfère toujours son caractère de fille audacieuse.

Après un petit-déjeuner rapide, les soldats embarquèrent dans deux camions. Notre amie s'assit à côté du commandant François dans un véhicule tout-terrain. Le mystérieux personnage étranger et le colonel accompagnaient. Ils démarrèrent aussitôt.


Ils roulèrent sous les arbres. Les camions suivaient, avec les soldats armés jusqu'aux dents. Ils passèrent tout près de la maison des parents de notre amie, mais ils ne s'arrêtèrent pas. Opération top secrète.

Quand il devint impossible de continuer avec les véhicules, au carrefour des trois routes, Christine expliqua qu'il restait un long sentier à parcourir. Ils la suivirent en file indienne.

Elle parvint au panneau « Forêt interdite ». Les soldats découpèrent la vieille clôture avec des pinces, puis tous continuèrent leur marche, guidés par notre amie. Ils dégageaient le chemin d'accès derrière elle, qui les précédait, souple et volontaire.

Elle arriva un peu après midi devant la seconde clôture. Notre amie avait bien faim, mais elle n'osait rien dire. Le colonel et ses hommes observèrent longtemps le bâtiment avec des jumelles.

-Personne en vue. Les trois caisses se trouvent là ?

-Oui, monsieur, répondit Christine, dans le hangar de gauche.

-Parfait. Soldat Robert, soldat Bertrand, à partir de cet instant, vous devenez les gardes du corps de cette jeune fille. Ne vous éloignez pas d'elle. Je propose que l'on mange rapidement, puis nous allons entrer dans cette base.  

Les deux hommes partagèrent leurs provisions avec notre amie.


Puis les militaires cernèrent la pelouse. Ensuite, communiquant avec les hommes par talkie-walkie, le colonel donna l'ordre d'assaut.

En un instant, les soldats entrèrent par tous les côtés à la fois et envahirent sans difficulté les bâtiments, les bureaux et les deux hangars. Le commandant fit venir Christine, toujours accompagnée des soldats Robert et Bertrand qui ne la quittaient pas d'un pouce, jusque dans la pièce où elle s'était cachée l'autre jour.

-L'échange d'argent s'est fait ici ?

-Oui, je me trouvais dans cette armoire, expliqua notre amie en la montrant du doigt.

-Tu as dû avoir drôlement peur. Et tu risquais gros. S'ils t'avaient vue, tu serais morte à l'heure qu'il est. Nous allons donc les attendre ici.

Puis le chef se tourna vers ses soldats.

-Equipe A dans le bois, derrière la clôture. Equipe B dans les bâtiments. Soyez prêts à intervenir. Dissimulez-vous avec soin. Ils ne doivent pas remarquer notre présence. Ceci n'est pas un exercice. 

   
À quatorze heures, on entendait les oiseaux chanter sous le ciel bleu.

À quatorze heures quinze, un premier hélicoptère atterrit, suivi quelques instants plus tard par les deux autres. Des hommes armés de mitraillettes sortirent et se dirigèrent vers les hangars.

Les deux soldats obligèrent Christine à se coucher à plat ventre sur le sol pour éviter les balles perdues.

Elle entendit quelques cris, quelques coups de feu, mais en trois minutes, les ennemis furent maîtrisés.

Répondant à l'appel du colonel, notre amie sortit du bureau, accompagnée par ses deux gardes.

Les militaires surveillaient les bandits assis les uns à côté des autres, à l'extérieur, appuyés contre le mur d'un des hangars, les mains sur la tête.


-Peux-tu nous indiquer les deux hommes que tu as aperçus hier ? demanda le colonel.

Christine les observa tous, passant devant eux. Une vingtaine. Elle reconnut sans hésiter les deux individus, surtout celui à la moustache ronde.

Ils nièrent avec force être déjà venus à cet endroit. Mais notre amie évoqua et montra du doigt l'étui à bandes rouges et noires contenant l'ordinateur portable que le chef des bandits tentait de dissimuler sous sa veste. C'était une preuve accablante.

Les militaires les emmenèrent sous bonne garde vers les hélicoptères.


Le colonel se dirigea ensuite vers le hangar avec Christine, le commandant François et l'homme à l'accent étranger. Il fit ouvrir une des caisses. Elle contenait des petites boîtes rondes en métal.

Le militaire expliqua à notre amie que cela s'apelle des mines antipersonnel.

-Des choses abominables, dit-il. Si tu poses ton pied sur une d'entre elles, elle explose. Tu risques de mourir ou de perdre une jambe. Dans les pays en guerre, les combattants achètent ces mines et les posent le long des routes, dans les champs ou dans les bois pour surprendre ou tuer leurs ennemis. Quand la guerre se termine, ces bombes traînent là. Et les enfants qui vont jouer au bois ou travailler aux champs sautent sur ces mines. C'est épouvantable.

"Des bandits sans scrupules, bien loin des pays en guerre, vendent ces instruments de mort. Ils les fabriquent dans des usines et en font du commerce, loin des champs de bataille. Ils gagnent beaucoup d'argent. Les enfants en sont les victimes innocentes. S'ils n'en meurent pas, ils restent estropiés à vie.

L'homme à l'accent étranger félicita Christine. Il lui expliqua son métier d'inspecteur à Interpol, la police internationale. La vis et l'écrou qu'elle lui avait confiés hier, servent de détonateur à ces bombes.

Les militaires emmenèrent toute la bande en prison.

-Grâce à toi, ajouta l'inspecteur, une organisation criminelle de trafic d'armes est ainsi mise sous les verrous. Hélas il en reste des autres...

Notre amie fut reconduite chez elle en hélicoptère. Elle revint à la maison très fière et heureuse, prête pour d'autres aventures.

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Pendant que tu lisais ces lignes, un enfant comme toi a marché sur une mine, quelque part dans le monde. Il y en a une qui explose toutes les deux heures dans des pays qui ont subi la guerre. Il est gravement blessé... s'il n'est pas mort. Toi, tu as de la chance. Il n'y a sans doute pas de mines dans les bois et les champs où tu vas courir et jouer.