Isabelle
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Le peigne bleu

     Isabelle a trois grands frères. Trois grands frères, c'est beaucoup. Surtout qu'ils mènent parfois leur petite sœur à la baguette. Alors, souvent, elle va jouer chez son ami Frédéric, un bébé de presque un an. Ses parents habitent un peu plus haut, dans la même rue. Chez lui, elle se sent un peu « la grande sœur ».

  
Ce jour-là, un mercredi, je crois, Isabelle revenait d'avoir passé l'après-midi chez Frédéric. Elle aime lui donner son biberon, le tenir dans ses bras, jouer avec lui, le cajoler. Le soleil brillait dans le ciel et dans son cœur.

Tout à coup, elle vit un peigne bleu, par terre, sur le trottoir. C'était un simple peigne, en plastique, avec un manche de la même couleur. 

Elle le ramassa et le glissa dans la poche de sa salopette jaune. Puis elle revint à la maison.

Elle croisa sa mère dans l'escalier.

-Isabelle ?

-Oui, maman.

-Qu'as-tu dans la poche ?

-C'est un peigne, maman.

Il dépassait de sa salopette.

-Où l'as-tu trouvé, Isabelle ?

-Par terre, sur le trottoir.

-Isabelle ! N'avons-nous pas assez de peignes à la maison ? Pourquoi faut-il que tu ramasses n'importe quoi sur la rue, à présent ?

-Mais maman, il est joli. On n'en a pas d'aussi beaux.

-Va à la salle de bain, ma chérie. Nettoie-le avec une brosse et du savon, puis lave-toi bien les mains. Et je t'interdis de te coiffer avec ce peigne. On ne sait pas qui s'en est servi avant nous. Tu n'as qu'à coiffer tes poupées. Tu as bien compris ?

-Oui, maman.


Isabelle monta l'escalier et entra dans la salle de bains. Elle prit de l'eau, du savon, et une brosse. Elle lava le peigne avec soin, puis elle retourna dans sa chambre.

Puisqu'elle ne pouvait pas le glisser dans ses cheveux, elle suivit le conseil de sa mère et en profita pour recoiffer ses poupées.

Elle en avait trois à ce moment-là. Elle appelait celle à cheveux noirs Myrtille, la rousse Coquelicot et la blonde Bouton d'Or.

Elle posa ses trois poupées sur le tapis. Elle fit deux tresses aux longs cheveux noirs de Myrtille et des couettes à Coquelicot. Elle arrangea une queue de cheval avec les cheveux blonds de Bouton d'Or, après les avoir démêlés avec patience. Puis elle les posa toutes les trois sur son lit, contre le mur.


-Merci beaucoup, dirent les poupées.

-Vous parlez ?

-Oui, répondirent-elles d'une même voix.

-Comment ça se fait ? Normalement vous ne parlez pas, s'étonna Isabelle.

-Nous pouvons parler à cause du peigne. Il est magique.

-Quel bonheur! s'exclama notre amie.

-Oui, mais cela ne va pas durer longtemps, quelques minutes seulement. Je veux profiter de ces instants pour te remercier, continua Myrtille aux longues tresses noires. Je trouve que tu joues très bien avec nous.

-C'est vrai, ajouta Coquelicot aux couettes rousses. Quand tu nous prends au jardin et que tu joues avec nous à papa-maman dans le petit chalet, c'est très plaisant.

-Oh oui, renchérit Bouton d'Or en faisant danser sa queue de cheval blonde sur ses épaules. Tu es très gentille avec nous. Je connais des filles et des garçons qui laissent traîner leurs poupées dans un coin de leur chambre. Toi, tu t'occupes bien de nous. On est très contentes.

-C'est exact, reprit Myrtille, et pour te récompenser, j'aimerais te faire un cadeau. Voudrais-tu m'apporter une grosse bobine de fil bleu et une aiguille. Je te préparerai une belle surprise pour ce soir.

-Apporte-moi un cahier, un crayon et un taille-crayon, ajouta Coquelicot. Je vais t'écrire une histoire. Tu l'auras demain soir.

-Et moi, fit Bouton d'Or, je voudrais une petite boîte. J'y glisserai mon cadeau. Ce sera pour après-demain soir.

-Vous êtes gentilles, dit Isabelle en souriant. Je vais vous chercher tout cela.


Elle trouva une grosse bobine de fil bleu et une aiguille dans le nécessaire à coudre de maman. Elle les glissa avec précaution dans la poche de sa salopette.

Puis, dans le bureau des parents, elle prit un petit cahier, un crayon, un taille-crayon et une gomme.

Il restait à chercher une petite boîte. Elle en demanda une à sa mère.

-Tu veux des petites boîtes trois fois par semaine, Isabelle. Je n'en ai plus. Prends une boîte d'allumettes.

Notre amie remonta à sa chambre avec ce que les poupées avaient demandé. Elles ne parlaient déjà plus.

Elle posa la bobine de fil bleu avec l'aiguille sur les genoux de Myrtille, le petit cahier sur ceux de Coquelicot, avec le crayon, le taille-crayon et la gomme. Elle plaça la boîte d'allumettes vide près de Bouton d'Or.

Puis elle sortit jouer au jardin.


Au soir, après sa douche et s'être brossé les dents, après le dernier bisou à papa et à maman, elle entra dans son lit. Elle souleva son oreiller pour prendre son doudou et découvrit un t-shirt bleu. Elle le déplia et vit qu'il y était brodé : « T-shirt des rêves ». C'était cousu avec le fil bleu qu'elle avait donné à Myrtille.

Isabelle enleva sa robe de nuit blanche avec des petites fleurs et passa le t-shirt. Il était fort long. Il descendait presque jusqu'à ses genoux. Myrtille avait vu grand.

-Tu crois que j'ai quinze ans ? dit la fillette en souriant.

Elle se remit au lit et se tourna pour s'endormir.


Elle venait à peine de fermer les yeux qu'elle s'aperçut qu'elle volait au-dessus de la rivière, près de chez elle.

-Je dois rêver. Ce n'est pas possible de voler comme un oiseau, dit-elle tout haut. C'est peut-être à cause du t-shirt...

Elle survola le bois, des champs, un village. Elle planait comme une hirondelle. Elle aimait ça. Elle approcha d'une maison bleue en amont de la rivière. Tout autour, le jardin en fleurs était parsemé de myrtilliers.

Isabelle se posa dans l'herbe.

La porte de la maison s'ouvrit et sa poupée Myrtille, grande comme une demoiselle, vint l'embrasser.

-Bonjour, Isabelle.

-Bonjour, Myrtille. Tu ressembles à une vraie dame !

-Veux-tu quelque chose à boire ?

-Je veux bien, répondit la fillette très étonnée, avec plaisir.

-Viens dans ma maison.

Notre amie entra dans le chalet en bois de sa poupée devenue vivante. Les murs aux papiers fleuris, les tapis, les meubles, tout était de très bon goût. Myrtille lui apporta un petit verre bleu, orné de fleurs blanches.

-Tiens, goûte. Il n'y en a pas beaucoup, mais c'est délicieux.

Isabelle but une gorgée de ce qui se trouvait dans le verre bleu. Elle n'avait jamais savouré quelque chose d'aussi succulent.

-C'est quoi ? demanda notre amie.

-C'est un jus que je fais moi-même. Je puis te donner la recette si tu veux. Écoute, c'est facile. D'abord tu prends trois myrtilles bien mûres...


Isabelle ouvrit les yeux. Elle était dans son lit et c'était le matin.

-Zut, dit-elle. Je me suis éveillée trop tôt. Je n'ai pas la recette du délicieux jus que prépare ma poupée Myrtille. Enfin, c'était un beau rêve...

Mais si elle avait rêvé, comment se faisait-il qu'elle tenait encore en main le petit verre bleu décoré de fleurs blanches ?

Elle le rangea dans son tiroir.


Ce même jour-là, notre amie fut bien pressée d'arriver au soir. Elle était impatiente de découvrir le cadeau promis par Coquelicot.

Enfin, elle enfila le t-shirt des rêves, se mit au lit et ferma les yeux. Elle sentit un petit cahier en dessous de son oreiller. Elle l'ouvrit et lut. Un conte passionnant s'y trouvait.

« Histoire du petit garçon qui voulait voir le soleil se coucher sur la mer ».

C'était écrit en grosses lettres pour qu'Isabelle, qui apprend, puisse lire facilement.

Un petit garçon partit un matin au fond du pré derrière chez lui. Là il entra dans l'eau d'un ruisseau et suivit le courant. Il savait que les ruisseaux se jettent dans les rivières et les rivières finissent dans la mer...

Isabelle s'aperçut qu'elle marchait pieds nus dans le ruisseau pas loin de chez elle. Elle pataugeait au soleil comme décrit dans l'histoire.

Au soir, le garçon parvint au bord de la mer...

Notre amie arriva à son tour en vue d'une plage bordée de hautes dunes. Elle repéra une maison rouge, entourée de coquelicots. Elle s'en approcha. La porte s'ouvrit et sa poupée Coquelicot apparut sur le seuil.

-Isabelle !

-Bonjour, Coquelicot.

-Viens voir le soleil se coucher sur la mer. Tu arrives juste à temps. Monte sur ma terrasse.

Isabelle regarda le coucher de soleil, assise sur les genoux de sa poupée, devenue grande comme une dame.

Elle vit le ciel s'illuminer de mille couleurs. Ça allait du bleu foncé au bleu clair au-dessus d'elle, mais vers l'horizon, les tons passèrent au rouge, à l'orange et au jaune. Elle crut même apercevoir un rayon vert. Quel magnifique spectacle!

-Je vais te faire un cadeau en souvenir de ce délicieux moment.

Coquelicot remit une petite bague à notre amie. Un anneau tout simple, mais avec toutes les couleurs du coucher du soleil. Le bleu, le rouge, l'orange, le jaune, et même le vert.

Isabelle le glissa à son doigt.


Elle ouvrit les yeux. C'était le matin. Elle se trouvait dans son lit. Elle avait sûrement rêvé. On ne peut pas suivre à pied une rivière et arriver à la mer ainsi...

Mais si elle avait rêvé, pourquoi avait-elle encore à son doigt l'anneau de Coquelicot ?


Le troisième jour, encore plus curieuse, Isabelle attendit le soir avec impatience. Dès la nuit tombée, elle passa à nouveau son t-shirt bleu des rêves et bondit dans son lit. Puis, fermant les yeux, elle glissa ses doigts sous l'oreiller comme les autres fois. Rien !

-Bouton d'Or m'a oubliée...

Mais soudain, elle se trouva devant un très beau château, construit en marbre blanc et bleu. Ses tours pointues et colorées se dressaient vers le ciel bleu. Les fenêtres étaient rehaussées d'or et les escaliers d'argent.

Une porte s'ouvrit. Bouton d'Or apparut sur le seuil et sourit à notre amie.

-Je ne t'ai pas oubliée. Te voici au château du roi des poupées. Je dois te mener chez lui. Il veut te faire un cadeau.

La fillette suivit sa poupée devenue une dame par des couloirs illuminés de mille lumières, puis entra dans une grande salle où se trouvait un majestueux fauteuil en or. C'était le trône du roi des poupées.

Il ressemblait à un bon-papa et semblait très gentil. Il souriait.

-Bonjour, Isabelle.

-Bonjour, monsieur, murmura notre amie, un peu intimidée.

-Bouton d'Or me dit que tu t'occupes si bien de tes poupées.

-Oui, fit-elle en souriant.

-Alors, je suis heureux de t'offrir ce cadeau.

Le roi lui tendit la boîte d'allumettes.

Isabelle l'ouvrit. À l'intérieur, se trouvait une chaîne en or, très fine, à laquelle était accroché un pendentif. Une ravissante pierre.

-Écoute-moi bien, petite fille, dit le roi des poupées. La pierre que je viens de te donner a exactement la couleur de tes yeux. Garde ce collier. Mets-le de côté. Quand tu seras plus grande, tu rencontreras un jour ton véritable amoureux. Tu le regarderas droit dans les yeux et juste à ce moment, tu lui glisseras ce collier autour du cou. Dès cet instant, il sera amoureux de toi pour toute sa vie.

-Merci beaucoup, murmura Isabelle.

Notre amie referma la boîte et au moment de sortir de la salle du trône, elle entendit le roi ajouter :

-Et n'oublie jamais. Ce que tu as de plus beau, ce sont tes yeux. 


Isabelle s'éveilla. C'était le matin. Le merveilleux rêve s'achevait.

Mais alors, si elle avait rêvé, pourquoi tenait-elle, en main, cette boîte d'allumettes, avec la chaîne en or et la petite pierre précieuse de la couleur de ses yeux ?


Les poupées n'ont plus jamais parlé.

Notre amie conserve et remet souvent le t-shirt bleu des rêves, le soir.

Elle garde, comme un trésor précieux, dans le tiroir de sa chambre, le petit verre bleu orné de fleurs blanches de Myrtille, la bague aux couleurs du coucher du soleil de Coquelicot, et le collier avec la pierre de la couleur de ses yeux de Bouton d'Or et du roi des poupées.

Le peigne bleu a disparu. Elle ne l'a jamais retrouvé.

Peut-être qu'en te promenant, un jour, tu découvriras aussi un peigne bleu sur le trottoir. Tu pourras le ramasser, si tu veux, le laver, puis coiffer tes poupées. Peut-être qu'elles te parleront et te feront des cadeaux, si tu t'en occupes bien...