Christine
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L'or du mont Saint Michaël

     Il faisait assez frais, et quand le vent soufflait en rafales, Christine et son ami Mathieu frissonnaient. Ils ne s'étaient pas assez chaudement habillés pour aller visiter l'île.

Les parents de Mathieu, en vacances quelques jours dans le Sud de l'Angleterre, avaient invité notre amie à accompagner leur fils, pour le plus grand bonheur des deux enfants qui ont tous deux dix ans et s'entendent à merveille.

Ils se rendaient ce jour-là sur l'île Saint Michaël. L'endroit ressemble au Mont-Saint-Michel de Normandie, mais en plus simple. Il est situé au Sud-Ouest de la Grande-Bretagne.

À marée haute, le Mont Saint Michaël n'est accessible qu'en bateau. Mais à marée basse, un chemin en forme de lettre S et pavé de vieilles pierres permet d'y aller à pied sec.

Il est toutefois prudent de vérifier l'heure des marées, afin de ne pas se retrouver isolé des longues heures sur l'île souvent inhabitée.

 

Un monastère, occupé autrefois par des religieux, fut construit il y a bien longtemps au sommet des rochers. On peut le visiter.

C'était le but de la balade de nos amis.

- Avons-nous le temps d'aller découvrir le monastère avant la marée haute? demanda le père de Mathieu à la préposée dans le local où l'on vend les billets.

- Certainement, monsieur. Il y a une visite guidée à seize heures. Elle dure une heure trente. Or vous devez quitter l'île vers vingt et une heures, car à ce moment la marée montante recouvre le chemin qui y mène.

- Alors deux adultes et deux enfants, s'il vous plaît madame.

Christine et Mathieu s'étaient dirigés pendant ce temps vers une grande cheminée où brûlait un bon feu de bois. Ils se réchauffaient devant les braises.

Parents et enfants avancèrent ensuite vers une grille, fermée par un cadenas. Quelques autres personnes, des touristes sans doute, attendaient déjà le guide qui n'allait pas tarder à arriver.

À gauche et à droite de la grille se prolongeait le mur qui entourait les jardins du monastère. Ce dernier, construit en pierres assez sombres, semblait un peu sinistre, menaçant même. Ses murs découpaient le ciel gris dont les nuages presque noirs défilaient dans le vent.

Un homme arriva à grands pas. Il sortit une clé de sa poche et ouvrit le cadenas.

- Je suis votre guide, dit-il. Je m'appelle Howard. Venez, nous allons suivre le sentier qui fait le tour par les jardins et mène au monastère.

 

Tout le monde se mit en route. Le groupe comptait une douzaine de personnes.

Le chemin, bordé de fleurs, grimpait sans cesse. On dominait à présent tout un côté de l'île, où se trouvait un rang de sept ou huit maisons souvent inoccupées, sauf en été. Ce sont aujourd'hui des résidences secondaires appartenant à des citadins habitant les villes voisines et même des Londoniens.

La dernière était le local de la billetterie. Un peu de fumée s'échappait par la cheminée.

Devant ces maisons se trouvait le quai du petit port, protégé par deux puissantes jetées en pierre grise. Pour l'instant le bassin était vide et le sol, dépourvu d'eau à la marée encore basse, n'était que boue et vase assez répugnante.

 

Le groupe arriva de l'autre côté du Mont Saint Michaël. Le spectacle des vagues de l'Atlantique qui déroulaient leurs lames puissantes avec une régularité d'horloge, était à la fois splendide et impressionnant. Le vent qui les creusait, faisait voler de l'écume à leurs crêtes dentelées.

Ces vagues venaient s'écraser contre un chaos de rochers croulant en noirs décombres. Chacune éclatait et moussait contre les pierres immobiles qui, stoïques, semblaient subir avec patience la loi des courants marins et leur fracas de manière soumise et impassible.

Le spectacle était grandiose.

 

Howard fit entrer les visiteurs dans le bâtiment. Il expliqua que des moines, des bénédictins, l'occupèrent longtemps.

Il leur fit parcourir les cuisines, le réfectoire, la bibliothèque, les salles d'étude, la chapelle, les cellules des religieux.

Puis ils ressortirent en passant sous l'imposante tour Ouest et empruntèrent le même sentier pour revenir à la barrière d'entrée.

Le vent qui s'était levé sifflait fort dans les branches des rares arbres. Il faisait déjà sombre. Ce n'était plus l'été. L'automne annonçait ses tempêtes et sa grisaille.

Christine se retourna une dernière fois pour observer le monastère.

Elle eut la surprise de voir une lumière allumée au premier étage, près de la tour d'entrée. La silhouette d'un homme se découpait en noir dans la lumière jaune qui l'éclairait de dos. Il semblait observer le groupe qui s'apprêtait à quitter le jardin.

Le guide avait pourtant affirmé clair et fort que le bâtiment était inoccupé.

 

- Monsieur, dit notre amie, j'ai vu quelqu'un là-haut. Une fenêtre était allumée, à gauche de la tour.

Le guide, Howard, se tourna. La lumière était éteinte à présent, et le bâtiment était tout noir. L'homme fit une étrange réponse.

- Tu n'as rien vu, dit-il. Il n'y a pas de lumière. Tu n'as vu personne.

Étonnée par ces mots prononcés, imposés même avec force, Christine s'adressa à son ami Mathieu.

- Toi, tu me crois, quand même?

- Je n'ai rien vu, répondit le garçon. Je regardais vers la côte et la digue éclairée. Mais je te crois, bien sûr!

Les parents de Mathieu emmenèrent les deux enfants se réchauffer dans une petite auberge où ils burent un chocolat chaud.

Puis ils quittèrent l'île en suivant d'abord l'une des deux jetées du port. Aucun bateau ne gisait dans la vase, sauf un Zodiac attaché à une échelle en fer.

Ils descendirent un escalier taillé dans de vieilles pierres, puis empruntèrent le chemin qui servait de digue, bordé par la mer des deux côtés. Ils parvinrent sur le sable de la plage.

Ils regagnèrent l'hôtel où ils allaient passer la nuit.

 

Pendant le repas du soir, les deux amis évoquèrent de nouveau ce que Christine avait vu en se retournant, et l'étrange comportement du guide, surtout la fermeté cinglante de sa réponse.

- On dirait qu'il cachait quelque chose, dit notre amie.

- Ce bâtiment qui semble abandonné, et de plus situé au bord de la mer, pourrait servir de repaire, de cachette, de tanière, à des voleurs, des trafiquants d'armes, ou je ne sais quoi, réfléchit Mathieu.

- On pourrait retourner sur l'île. On a encore le temps, il est à peine 20 heures, et j'ai entendu tantôt que la marée n'envahit la digue qu'à 21 heures.

- Excellente idée, reprit le garçon.

Il se tourna vers ses parents.

- Papa, maman, je peux aller faire un tour sur la plage avec Christine avant d'aller dormir?

- Pourquoi pas, répondit le papa. Elle sera déserte à cette heure et la marée monte. Ce sera joli.

- Et romantique, ajouta la maman, romantique à souhait pour des amoureux!

Nos deux amis rougirent. Ils sont grands amis. Mais ils ne comptaient pas rester bien longtemps sur le sable. Leur projet n'avait rien de romantique. Ce qui les attendait s'appelait plutôt aventure et curiosité.

 

La plage n'était éclairée que par les réverbères de la digue et les lumières des hôtels et des maisons. Le vent d'Ouest soufflait en rafales et levait le sable qui venait piquer aux bras et aux chevilles. Au loin, la masse du Mont Saint Michaël apparaissait encore plus noire et plus menaçante dans les dernières lueurs du soir.

Les enfants n'y aperçurent aucune lumière.

Ils empruntèrent le passage surélevé que l'eau à cette heure s'apprêtait à envahir des deux côtés à la fois.

Ils arrivèrent à la jetée.

La petite auberge, la billetterie, et les quelques maisons de pêcheurs étaient plongées dans l'obscurité et semblaient abandonnées. Plus haut, le monastère dressait sa masse sinistre dans la nuit.

Le cadenas bien fermé de la barrière interdisait l'accès au sentier qui menait au bâtiment occupé autrefois par les religieux et où Christine avait aperçu une lumière allumée et quelqu'un debout devant une fenêtre.

Les deux amis hésitèrent un instant, puis, décidés à poursuivre l'aventure, ils escaladèrent le mur et sautèrent dans le jardin.

Ils suivirent le petit chemin bordé de fleurs. Le vent, venu de l'océan, soufflait dans les branches des arbres et les faisait siffler.

- Tout est noir, murmura Mathieu en frissonnant.

- Oui, on est peut-être venus pour rien, répondit Christine.

Ils parvinrent à l'endroit où le sentier surplombait la mer un instant. Là se trouvait le chaos de rochers écroulés et battus par les vagues.

La lune, presque pleine, se glissa entre deux nuages. Sa lueur tourmentée se posa sur les pierres de la vieille bâtisse, la rendant encore plus sinistre.

 

Une lumière apparut au pied de la tour proche. Quelqu'un venait d'ouvrir une porte. Le hall était éclairé. Deux hommes sortirent du bâtiment. Ils éteignirent, puis refermèrent la porte derrière eux.

Ils s'approchaient de nos amis, à présent. Ils suivaient le même sentier, celui qui mène au port.

- Vite, cachons-nous, fit Mathieu.

- Mais où? hésita Christine.

- Là, en contrebas, le long de la petite falaise. Il fait noir, ils ne nous verront pas.

Les deux hommes portaient chacun une caisse qui semblait bien lourde et sur laquelle une lampe de poche allumée était posée. Ils se trouvaient à présent à quelques pas des deux enfants couchés à plat ventre en contrebas, entre deux rochers.

Soudain, comme ils passaient à deux mètres à peine de nos amis, le fond de la caisse de l'un d'eux se brisa et le contenu tomba sur le sol.

Christine et Mathieu virent que c'était des lingots d'or.

L'or est un métal 19 fois plus lourd que l'eau. Un lingot, comme ceux qui venaient de tomber, pèse un kilo, mais n'a la taille que d'un téléphone portable. Et pourtant ce lingot vaut plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Deux lingots glissèrent sur un rocher très incliné et vinrent terminer leur chute près de nos amis, qui se trouvaient, on l'a compris, en contrebas.

- Que se passe-t-il, Howard? dit l'un des hommes.

- Le fond de ma caisse s'est rompu, Philip. Attends-moi. Je vais en chercher une autre dans le monastère.

L'homme partit en courant.

 

- C'est notre guide, souffla Christine.

- Oui, murmura le garçon. Et Philip est certainement celui que tu as aperçu quand tu t'es retournée et que tu as vu un homme devant une fenêtre éclairée.

- Chut, il revient, dit notre amie.

- Prends les deux lingots qui sont tombés près de nous, proposa Mathieu.

- Pourquoi? Ce n'est pas à nous. Et puis, s'ils nous attrapent...

- Si on leur échappe, on les portera à la police. Ce sera la preuve que notre récit n'est pas une invention.

Christine les glissa dans la poche de sa salopette.

 

Howard revint avec un sac en toile qu'il posa sur le sol. Il y mit les lingots un à un.

- Pourvu qu'il ne les compte pas, souffla Christine à l'oreille de son ami.

- Tu as raison, s'il les compte, il constatera qu'il lui en manque deux et il les cherchera. Il risque de nous apercevoir en venant fouiller par ici.

Une puissante vague éclata un peu plus bas, couvrant les rochers de son écume et éclaboussant le bas de la salopette et du jean des deux enfants.

- Il est vingt et une heures, soupira Mathieu. Le passage vers la plage, les hôtels et la digue doit être envahi par la mer à présent.

- Ils s'en vont, dit notre amie. Suivons-les. On a peut-être encore une chance de passer et d'atteindre la côte à pieds secs.

Les deux enfants escaladèrent les rochers et marchèrent quelques mètres derrière les deux hommes qui semblaient se dépêcher.

- N. n'aime pas qu'on le fasse attendre, dit Howard. Filons au Zodiac. L'eau commence sans doute à entrer dans le port. Notre bateau flottera bientôt. On pourra quitter l'île et retrouver notre chef sur son yacht, au large.

 

Arrivé à la grille, le guide sortit sa clé de sa poche, ouvrit le cadenas, et passa sur le quai avec son complice. Il referma derrière lui.

- L'eau n'a pas encore atteint le Zodiac, dit Philip. Recompte tes lingots en attendant. Moi, j'en ai cinquante dans ma caisse. N. sera furieux si le compte n'y est pas.

Howard les sortit un à un du sac.

- J'en ai quarante-huit. Il m'en manque deux.

- Allons les chercher. Ils doivent avoir glissé dans les rochers quand ta caisse s'est brisée.

L'homme fit demi-tour et revint sur ses pas avec son collègue. Leurs lampes de poche éclairaient le sentier. Ils passèrent près des deux enfants.

Impossible de se cacher à cet endroit. Nos deux amis, pris dans les faisceaux des lumières, furent bien vite repérés.

- Haut les mains, cria Philip.

- Je les reconnais, confia Howard. Elle, c'est la gamine qui t'a vu quand tu as allumé la lumière dans la tour. Le garçon accompagnait le groupe de touristes.

- Qu'est-ce qu'on fait d'eux?

- Ce sont des vilains petits curieux, dit le guide. Ils méritent tous les deux d'être jetés aux requins.

- Demandons plutôt à N. ce qu'il en pense. Chargeons l'or sur le Zodiac et emmenons ces deux-là avec nous jusqu'au yacht de notre chef. Il s'est un peu éloigné des côtes. Il pourra là-bas les jeter aux requins. On ne retrouvera jamais leurs corps.

- Et en attendant, ils vont charger les lingots sur le Zodiac. Qu'ils pataugent dans la boue et la vase à notre place.

Christine avait très peur que les voleurs la fouillent et trouvent les deux lingots dans la poche de sa salopette. Les deux hommes seraient encore plus en colère, et nos amis se verraient reprendre la preuve de leur aventure et de la culpabilité des bandits.

Christine et Mathieu furent obligés, sous la menace du révolver de Philip de faire plusieurs fois l'aller-retour entre le quai et le bateau gonflable attaché avec une corde au bas d'une échelle en fer et qui stagnait au milieu de la vase gluante du bassin du port.

Ce fut un moment vraiment pénible car les deux enfants pataugeaient dans la boue. Ils s'y enfonçaient jusqu'aux genoux, enfouissant les baskets, pour Mathieu et des simples tennis, pour Christine. En plus ils se demandaient avec angoisse quel allait être leur sort une fois en mer.

Pendant ce temps, Howard retourna à l'endroit où sa caisse s'était brisée pour chercher les deux lingots d'or manquants. Il revint bredouille.

Heureusement, les deux hommes ne songèrent pas à fouiller notre amie.

Les premières vagues de la marée haute arrivaient. Et le Zodiac flotta bientôt sur l'eau.

 

Les deux bandits rejoignirent nos amis au bas de l'échelle et montèrent à leur tour sur le bateau. Philip s'assit à l'avant pour observer la mer et retrouver le yacht de N.

Howard se plaça à l'arrière. Il tira avec fermeté sur une corde qui mit le moteur du Zodiac en marche. Il saisit le manche en bois qui commandait le gouvernail. Le bateau traversa le bassin du port et commença à contourner l'île.

On s'éloignait de la côte.

Philip, toujours à l'avant, scrutait la nuit à la recherche du yacht de son chef. Howard observait la mer et la plage derrière lui pour s'assurer que personne ne les suivait et qu'aucune vedette de police n'était en vue.

Christine et son ami, assis l'un en face de l'autre, observaient les deux hommes qui ne les surveillaient pas, trop occupés à regarder autour d'eux.

- Il faut tenter quelque chose, souffla Mathieu, en veillant à ce que le bruit du moteur couvre sa voix.

- Tu as raison, mais quoi?

- On sait nager. N'attendons pas d'être trop loin de la côte. Sautons à l'eau et nageons jusqu'à la plage.

- Tu n'y penses pas, répondit Christine. On doit être à cinq cents mètres au moins.

- Cela fera environ vingt longueurs de piscine. Ce sera dur, mais on peut réussir, dit le garçon.

- Tu crois?

- Tu préfères être noyée loin en mer ou être dévorée par des requins?

- D'accord, dit notre amie.

Prenant appui sur leurs pieds avec fermeté, ils basculèrent en arrière, par-dessus le bordage. Ils se retrouvèrent dans l'eau.

 

La première chose qui les surprit fut le froid. L'eau de mer, à cette saison, était beaucoup plus froide qu'ils l'avaient pensé.

La seconde, fut que les deux hommes n'arrêtèrent pas leur embarcation pour venir les rechercher. Ils continuaient à s'éloigner dans la nuit.

Les deux amis nageaient avec courage, mais la côte était loin, le froid les glaçait et les vagues les gênaient. Christine, en plus, était alourdie par les deux kilos d'or qu'elle gardait dans la poche de sa salopette.

- Je n'en peux plus, dit-elle après un moment à son ami.

- Courage, lança Mathieu, qui lui aussi, n'en menait pas large.

Christine eut une idée géniale.

- Nageons plutôt vers l'île, cria notre amie. On est à peine à cent mètres. On y sera vite. On pourra s'y cacher, puis tenter de retourner vers la côte, une fois reposés.

- D'accord, répondit son copain.

 

Les deux enfants dirigèrent leurs efforts vers les rochers que les lames de l'Atlantique battaient en cadence et couvraient d'écume.

Une vague les jeta littéralement sur une roche inclinée. Ils s'égratignèrent aux mains et aux genoux, puis, durent s'agripper à la pierre pendant que l'eau refluait, pour ne pas être emportés par le courant du ressac.

Ils se redressèrent avant l'arrivée de la lame suivante et escaladèrent l'endroit chaotique et ruisselant. Ils grelottaient dans leurs vêtements trempés.

 

- Courons à cette maison où l'on vendait les billets pour la visite du monastère, dit Christine en claquant des dents et en tremblant de froid. La porte n'est peut-être pas fermée à clé.

Les deux enfants se précipitèrent vers la barrière. Ils escaladèrent le mur, ne pouvant ouvrir le cadenas qui fermait la grille.

Un instant plus tard, ils s'arrêtèrent devant la porte de la billetterie. Elle s'ouvrit sans difficulté. Une douce chaleur les accueillit. Des braises rougeoyaient dans la cheminée. Christine y posa deux bûches et souffla pour ranimer les flammes.

Le feu les réchauffait et les séchait doucement.

 

Pendant ce temps, le Zodiac, conduit par Howard et Philip venait d'accoster contre le yacht de N. Les deux hommes transbordèrent les lingots d'or.

- Chef, on a deux problèmes, dit Howard.

- Lesquels?

- D'abord, il manque deux lingots, répondit Philip. Le fond de la caisse dans laquelle je les avais placés pour les transporter a cassé entre le monastère et le quai, près du chaos de rochers. Je les ai cherchés, mais je ne les ai pas retrouvés.

- Retournez à l'île avec le Zodiac, et cherchez encore. Demain, des touristes qui viendront visiter les lieux risquent de les voir. Ce serait ennuyeux.

- Il y a un autre problème, chef. Deux enfants nous ont aperçus. Ils nous espionnaient, j'en suis sûr. On les a emmenés sur le bateau, mais ils ont plongé à l'eau.

- Ils ne doivent pas être bien loin, calcula N. Ils nagent vers la plage. Foncez vers la côte avec le Zodiac. Vous les trouverez facilement. Ils doivent être épuisés, s'ils ne sont pas morts de froid. Amenez-les ici. On les jettera aux requins en haute mer.

 

Les deux hommes remirent le moteur du petit bateau en marche et filèrent vers les plages. Howard tenait la barre du gouvernail. Philip éclairait la surface de l'eau avec sa puissante lampe de poche.

- Je ne les vois pas, dit-il.

- Longeons la plage, ils ne peuvent pas être loin.

Soudain, Howard qui scrutait aussi la surface des vagues à la recherche de nos deux amis, leva les yeux vers le Mont Saint Michaël.

- Regarde, Philip, là, sur l'île. Tu aperçois le local de la billetterie?

- Oui.

- Je vois de la lumière, une lumière qui bouge, qui tremble. Cela provient des flammes d'un feu. Les deux enfants se sont réfugiés là, au lieu de nager directement jusqu'à la côte. Amène le Zodiac dans le port, la mer est haute. On les tient.

 

Christine et Mathieu s'étaient enfin réchauffés.

- Il faut partir, dit le garçon. Allons sur la jetée et descendons l'escalier qui mène au passage vers la côte. La digue est recouverte par la mer, mais ça ne doit pas encore être bien profond. Avec un peu de chance, nous n'aurons de l'eau que jusqu'aux genoux ou au pire, jusqu'au ventre.

Les deux enfants quittèrent, presque à regret, le local bien chaud. Leurs vêtements étaient encore humides et le vent de la mer les refroidit en un instant.

Ils passèrent sur le quai désert.

Pendant qu'ils se dépêchaient vers la jetée de gauche, Christine aperçut soudain les faisceaux de lumière de deux lampes de poche.

- Regarde, dit-elle à son copain, là, à l'entrée du port. Un Zodiac. Les voleurs sont à notre recherche.

- Cachons-nous derrière le mur, près de la barrière, souffla Mathieu. Vite!

Ils escaladèrent une nouvelle fois le muret d'enceinte du monastère et se baissèrent derrière lui.

Le Zodiac accosta le long du mur en vieilles pierres du quai. Howard noua une corde au pied de l'échelle en fer qui y était accrochée pour attacher l'embarcation.

Les deux hommes montèrent sur le quai et se dirigèrent d'un pas rapide, arme au poing, vers le local de la billetterie.

- On les tient, dit Philip.

Ils ouvrirent la porte d'un coup sec et crièrent d'une seule voix.

- Haut les mains!

 

- Que fait-on? dit Christine qui sentait de nouveau le froid l'envahir.

Son ami eut une idée géniale.

- Profitons qu'ils fouillent le local, dit-il. Courons sur le quai, descendons par l'échelle et prenons leur bateau.

- Tu sauras mettre le moteur en marche?

- Je crois, dit Mathieu. Ça semble assez facile.

Les deux enfants bondirent au-dessus du mur et franchirent en courant l'espace entre les maisons et le bord du quai.

Christine, regardant un instant derrière elle, aperçut les voleurs qui s'agitaient dans la billetterie.

Nos amis posèrent les pieds sur le Zodiac. La jeune fille défit le nœud qui retenait le bateau à l'échelle menant au quai.

Mathieu s'acharnait à tirer sur la corde qui mettait le moteur en marche, mais il n'obtenait qu'un vague grognement.

- Tire plus fort et plus vite, lança Christine.

Le garçon, rassemblant ses forces, fit un mouvement rapide et sec. Le moteur se mit à pétarader.

 

Il était temps. Les deux hommes sortaient du local.

Nos amis quittaient le port. Ils passèrent entre les deux jetées en pierre sombre.

Howard prit son révolver et visa les enfants.

- Ne fais pas cela, dit Philip en touchant le bras de son comparse. Tu vas les rater, ils sont déjà trop loin et le bruit du coup de feu sera entendu par des promeneurs qui risquent d'appeler la police. Téléphonons à N. La marée est presque haute. Il peut venir nous chercher avec son yacht.

Christine et Mathieu arrivèrent à la plage. Abandonnant le Zodiac sur le sable, ils montèrent sur la digue et coururent à l'hôtel où les parents du garçon les attendaient.

Ils racontèrent leur terrible aventure.

On prévint aussitôt la police. Un inspecteur écouta le récit de nos amis avec attention, via la traduction en anglais que faisait la maman de Mathieu. Christine et son copain n'ont pas encore appris à parler cette langue.

Notre amie confia au policier les deux lingots d'or qu'elle tenait dans la poche de sa salopette.

Deux vedettes de gendarmerie maritime et un hélicoptère, commandés en urgence, filèrent vers l'île.

 

N. venait d'accoster au Mont Saint Michaël. Pris dans un puissant phare de l'hélicoptère, il lui fut impossible de fuir.

Les deux vedettes accostèrent quelques instants plus tard.

Les trois bandits furent menés en prison et les lingots d'or confisqués avant d'être rendus à la banque où ils avaient été volés.

N. tenta bien de déclarer qu'il ne connaissait pas les deux autres et que, passant par hasard avec son yacht, il avait répondu à des appels de détresse, mais on ne le crut pas. Il rappela ensuite qu'aucune loi n'interdisait de se balader en mer avec son or.

Les policiers répliquèrent que grâce aux deux lingots récupérés par Christine, et sur lesquels on verrait les empreintes digitales de Howard et Philip et celles des deux enfants, la preuve serait bientôt établie de la culpabilité du trio. La présence de 98 autres lingots sur le yacht, eux aussi couverts d'empreintes, confirmait à coup sûr la participation de N. à l'affaire.

 

Le banquier rencontra nos amis le lendemain. Il les félicita et voulut absolument leur donner la récompense prévue en cas de récupération de l'or volé. Il loua leur courage et leur audace.

Christine et Mathieu se retrouvèrent chacun avec une enveloppe contenant pas mal de billets de banque.

De beaux achats en perspective pour finir les vacances!

 

(Merci à mon fils François, qui a imaginé la première moitié de ce récit.)