Isabelle
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Le petit poisson

     Isabelle jouait au jardin un samedi après-midi.

Tout à coup, on sonna à la porte. Elle courut ouvrir car elle est très curieuse. C'était justement son copain David. Lui, il a déjà six ans. Elle pas encore. Bientôt.

- Bonjour! Tu m'accompagnes à la rivière? On va attraper des poissons.

- Oh oui! se réjouit la fillette, mais je n'ai pas de canne à pêche.

- Ça ne fait rien, moi j'en ai apporté deux. Je t'en prêterai une.

- Papa! maman! demanda Isabelle, je peux aller à la pêche avec David?

- Vous n'irez pas trop loin j'espère, demanda maman.

- Non, répondit le garçonnet. On va se placer derrière le champ de fleurs, le long de la petite rivière.

Notre amie partit avec son copain. C'était la première fois de sa vie qu'elle allait à la pêche. Elle souriait, très heureuse. Quelle belle lumière de vie dans son regard!

Ils atteignirent le fond du jardin.

 

Là, ils passèrent sous la barrière car Isabelle ne sait pas l'ouvrir, puis ils traversèrent le champ de fleurs. Ils se glissèrent sous la vieille clôture au bout du pré et parvinrent au bord de l'eau. La fillette était très impatiente d'attraper son premier poisson.

- Tiens, je te donne cette canne à pêche-ci, dit David.

- Merci, répondit Isabelle en souriant.

Elle trempa aussitôt le hameçon dans l'eau.

- Pas comme ça! expliqua le garçon. Pourquoi veux-tu que les poissons viennent mordre si tu ne les attires pas? Il faut d'abord accrocher un appât.

- C'est quoi un appât? demanda notre amie.

- Un appât, c'est un morceau de ver de terre, par exemple.

Beurk! songea la fillette.

Elle fit la moue.

- Je n'ai pas de ver de terre.

- Moi, j'en ai apporté, répondit David.

Il ouvrit une boîte en fer. Cela grouillait de vers. Isabelle les observa d'un air dégoûté.

- Attends. Je vais t'en accrocher un moi-même.

Le garcon prit un petit ver de terre et le fixa au hameçon.

- Voilà, maintenant tu peux tremper ta canne à pêche dans l'eau.

Elle mouilla l'hameçon et regarda. David fit de même. Ils se tenaient debout l'un près de l'autre au soleil, au bord de l'eau. Les oiseaux chantaient dans la lumière de l'été.

 

- Je ne vois pas de petit poisson!

- Tais-toi! répondit David. Il faut attendre. Un peu de patience!

Isabelle regarda de nouveau dans l'eau.

- J'en ai vu passer un. Il ne s'est pas arrêté.

- Si tu parles tout le temps, s'énerva le garçon, ils ne vont jamais s'approcher, les poissons.

- Ah bon, murmura notre amie.

Après deux minutes, elle se tourna vers son copain.

- Tu crois que je vais attraper un gros poisson?

- J'en sais rien, mais tais-toi! sinon tu ne prendras rien du tout.

- On ne peut vraiment pas parler? regretta la fillette.

- Oui, il faut se taire.

- Ce n'est pas très amusant, maugréa Isabelle.

- Tais-toi!

- Bon, je me tais.

Puis, après quelques secondes de silence.

- Je ne dis plus rien.

- Tu vas te taire? fit le garçon.

Elle se mit à chanter.

- Au clair de la lune, mon ami Pierrot...

- Arrête de parler et de chanter, cria David.

- On peut même pas chanter? On peut rien dire? Ce n'est pas drôle!

Isabelle posa sa canne à pêche sur le sol, le hameçon dans l'eau et s'en alla un peu plus loin en aval. Là, elle se mit pieds nus et entra dans l'eau. Elle joua à lancer des cailloux et regardait les ronds s'éloigner au fil du courant.

 

David l'appela dix minutes plus tard.

- Viens vite, je crois que tu as attrapé un poisson.

Notre amie revint rapidement et regarda. Elle ne vit rien dans les reflets du courant. Elle leva la canne à pêche et sortit de l'eau un joli poisson tout blanc d'environ huit centimètres.

- Voilà ton premier, Isabelle, félicita David.

Elle était très heureuse et très fière.

- J'ai attrapé un poisson! j'ai attrapé un poisson! disait-elle en chantant.

- Je vais te le détacher, proposa son copain.

- Oh, il est blessé, murmura notre amie. Attention! Tu lui fais mal à la bouche avec le crochet. Pauvre petit poisson!

David retira rapidement le hameçon fixé à la mâchoire.

- Mon pauvre petit poisson! gémit Isabelle. Il a mal. Il saigne. C'est ma faute.

Des larmes coulèrent sur ses joues.

David le prit et le glissa dans un petit seau qui contenait de l'eau.

- Voilà, il est pour toi.

Mais maintenant, notre amie qui a bon cœur, pleurait.

Le garçon, ennuyé, ne savait trop que faire. Il observa son amie en silence un instant, puis lui proposa de la reconduire à sa maison.

Il empoigna les deux cannes à pêche, le seau et la boîte de vers de terre. Ils traversèrent le champ de fleurs. Ils s'arrêtèrent au jardin, devant la porte de la cuisine.

- Tiens, dit-il, voilà ton poisson. Tu me rendras le seau un autre jour.

Et David partit.

 

Les larmes d'Isabelle coulaient encore quand elle entra dans la maison.

- Papa!

- Oui, ma chérie.

- J'ai un petit poisson.

- Bravo, Isabelle!

- Mais je crois qu'il est très malheureux. Il a mal, parce qu'il s'est blessé à la bouche en mangeant le ver de terre au crochet du hameçon. Tu veux bien me donner une grande bassine? Je voudrais plein d'eau pour le voir nager.

Papa prit la bassine rouge qui se trouvait dans l'armoire et la remplit à moitié.

La fillette versa doucement le contenu du seau avec le petit poisson qui s'empressa aussitôt de se déplacer dans l'eau. Notre amie le regardait, émue.

 

- Pauvre petit poisson. Papa, il faut lui donner à manger. Tu as de la nourriture pour les poissons?

- Non, ma chérie.

- On va aller en acheter au magasin.

- Le dimanche, ma douce, tout est fermé. Prends une tranche de pain et découpe-lui des toutes petites miettes.

Isabelle dispersa les miettes de pain à la surface de l'eau. Le petit poisson vint plusieurs fois y goûter.

- Je crois qu'il a encore mal à la bouche. Mon pauvre petit poisson! Je suis bien triste de l'avoir sorti de la rivière. Je vais le reconduire chez ses amis, dans le ruisseau.

- Pas maintenant ma chérie. Va te laver les mains, on passe à table.

Notre amie ne voulut presque pas manger ce soir-là. Elle pleurait tout le temps. Ses grands frères se moquaient un petit peu d'elle.

Puis, elle pleura sous la douche mais ça ne se voyait pas parce que ses larmes se mêlaient à l'eau qui coulait. Ensuite, elle mit sa robe de nuit blanche avec des petites fleurs bleues et redescendit à la cuisine.

Elle glissa sa main dans l'eau, pour caresser son petit poisson. Il ne bougeait pas beaucoup. Elle le frôla doucement.

- Je te demande pardon de t'avoir fait mal. Je te reconduirai dans ta rivière demain et tu pourras retrouver tes parents. Je te le promets, murmura Isabelle d'une voix très triste et très malheureuse.

Puis elle monta à sa chambre, elle se glissa dans son lit et saisit son doudou. Elle s'endormit en pleurant.

 

Notre amie s'éveilla dans la nult. Quelle heure pouvait-il être? Elle n'en savait rien. Tout le monde dormait dans la maison. Papa, maman, les grands frères Bertrand, Benoît et Benjamin. Ce dernier, sur le lit superposé au-dessus de sa sœur.

Aussitôt notre amie pensa à son petit poisson.

Elle se leva sans bruit, ouvrit la porte de sa chambre et descendit l'escalier. Elle entra dans la cuisine. Elle s'approcha de la bassine éclairée par un rayon de lune. Le poisson ne bougeait pas.

- Tu dors? murmura Isabelle.

Elle glissa la main dans l'eau et la remua un peu.

- Tu es malheureux. Tu veux retourner dans ta rivière, dit-elle d'une petite voix émue et triste. Je vais te reconduire tout de suite. Attends. Je vais m'habiller. Je reviens dans un instant.

 

Elle remonta à sa chambre. Ella passa sa salopette en jean bleu et mit ses sandales de toile. Puis elle redescendit l'escalier.

Elle prit le seau de son copain David, et y versant un peu d'eau du bassin, elle y glissa le poisson.

Elle ouvrit ensuite la porte de la cuisine et fit jouer le verrou pour ne pas rester bloquée dehors.

C'est arrivé dans une autre aventure de notre amie. Découvre cette belle histoire : Le lapin. Au numéro Isabelle 24.

Elle traversa le jardin.

L'herbe était humide de rosée. Les pieds d'Isabelle furent bientôt mouillés ainsi que le bas de sa salopette. Elle passa doucement sous la barrière, sans renverser l'eau du seau. Elle traversa le champ de fleurs. Elle s'arrêta au bord de la rivière. Elle regarda danser le reflet de la lune aux creux des vagues emmenées par le courant.

 

- Voilà petit poisson. Voici ta rivière. Je vais te verser dedans. Tu vas retrouver tes parents.

Notre amie se tut un instant. Elle regarda dans le seau à la lueur de la lune.

- Tu ne bouges pas, petit poisson... Tu n'es pas mort quand même?

Isabelle inclina le seau. Elle versa doucement l'eau dans celle de la rivière. Le poisson s'éloigna au gré du courant. Les reflets de la lune brillaient comme des diamants. 

Notre amie cueillit le plus de fleurs qu'elle pouvait: des jaunes, des bleues, des blanches et elle les jeta dans l'eau.

Je crois que jamais petit poisson ne reçut un aussi beau cortège de fleurs et de brillants reflets de lune.

Isabelle resta immobile un moment puis elle retourna à la maison. Elle repassa le champ de fleurs et traversa son jardin. Elle entra dans la cuisine, referma la porte et remonta à sa chambre.

Et pendant tout le trajet, Isabelle ne cessa de pleurer.

Elle n'est jamais plus retournée à la pêche, de toute sa vie.


Je dédie ce conte à la mémoire du seul petit poisson que j'ai pêché autrefois et sur lequel j'ai tant pleuré...