Magali
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L'Étincelle

     As-tu déjà vu un feu d'artifice? Magali jamais. Je te rappelle que notre amie est âgée de quatre ans et demi. Ses parents lui coiffent ses longs cheveux noirs en deux petites couettes qui dansent sur ses joues. Tu la verras souvent vêtue d'une salopette rouge et de baskets rouges ou blancs.

Ce soir-là, bonheur, elle pouvait regarder son premier feu d'artifice. On faisait la fête au village où elle habite et elle allait le voir depuis son jardin.

Notre amie attendit que la nuit soit bien noire avec impatience. Maintenant, elle se tenait debout dans l'herbe, à côté de son grand frère Arnaud. Elle avait un peu peur, alors elle se serrait tout contre lui.

Tout à coup, le ciel se remplit de lumière et d'éclats. Des étincelles bleues, jaunes, rouges, vertes apparaissaient puis disparaissaient, illuminant le firmament noir, la façade de la maison et le visage à la fois inquiet et souriant de la fillette.

Parfois, les lumières colorées glissaient vers le sol, telle une fontaine de lucioles, incandescentes.

Soudain, une étincelle, qui brûlait un peu plus fort et plus longtemps que les autres, descendit en vrille vers Magali et se posa juste à ses pieds. La petite fille, surprise, étonnée et curieuse, se mit à quatre pattes pour mieux la regarder.

Elle observa le rougeoiement jaune orange du petit morceau de feu qui se consumait à quelques centimètres d'elle.


En l'examinant mieux, elle aperçut une petite forme qui bougeait sur le rougeoiement. Écarquillant les yeux, elle découvrit un petit garçon, un tout petit garçon, à peine plus grand qu'une fourmi.

Elle le trouva joli. Ses cheveux bruns, un peu longs, tombaient sur ses épaules. Il avait de beaux yeux verts. Il était torse nu et pieds nus. Il portait un short bleu et il dansait sur le feu.

Magali tendit le doigt vers lui pour le montrer à Arnaud. Mais le grand frère était rentré dans la maison depuis quelques instants.

Le petit garçon, par contre, en profita pour sauter d'un bond sur l'index de Magali. La fillette approcha son doigt de son visage et observa le bonhomme qui la regardait.

-Bonsoir, murmura notre amie.

-Comment t'appelles-tu? demanda l'enfant qui souriait.

-Je m'appelle Magali.

-J'ai froid, dit en tremblant le petit garçon.

-Pourtant, répondit notre amie, il fait doux cette nuit. Je n'ai même pas de t-shirt. Je porte juste ma salopette et je suis pieds nus. Je n'ai pas froid.

-Oui, mais moi, je ne suis pas un enfant comme toi, expliqua le petit garçon. Je suis un enfant du feu. Je vis dans la chaleur du feu. Loin des flammes, je meurs de froid. Trouve-moi vite des habits pour me réchauffer.


Magali réfléchit. Elle pourrait donner un de ses gros pulls au petit bonhomme, mais il serait perdu là-dedans. Même des habits de son frère Julien, le bébé, seraient beaucoup trop grands pour lui.

Tout à coup, la fillette eut une idée. Pourquoi pas un vêtement de sa poupée ? Magali en possède une qui ne mesure que quelques centimètres.

Elle glissa le petit garçon dans le creux de sa main et referma son poing. Elle ne serra pas trop fort, pour ne pas l'écraser. Elle courut jusqu'à sa chambre. Là, elle posa son nouveau compagnon sur son lit et déshabilla sa poupée.

-Tiens, dit Magali. Voici une robe bien chaude.

-Je ne veux pas mettre une robe, s'écria le petit bonhomme. Je suis un garçon, pas une fille.

-Je n'ai rien d'autre, soupira notre amie. Et puis, regarde autour de toi. Les filles s'habillent aujourd'hui avec des habits de garçon, des pantalons et des salopettes. Pourquoi les garçons ne mettraient-ils pas une robe, comme au temps de nos grands-pères ? Tu auras bien chaud là-dedans. Elle est en laine.

Le garçon revêtit la robe de laine.

-J'ai encore froid, dit-il en grelottant.

-Attends, fit Magali. Je vais te chercher une couverture qui appartient à une autre de mes poupées.

Elle enroula son ami dans la couverture, puis le prenant entre son pouce et son index, elle le fit glisser dans la poche avant de sa salopette.

L'enfant du feu accrocha ses mains tout au bord, près de la couture.

Trop drôle, pensa Magali. Si mes amies me voient, elles vont me prendre pour une maman kangourou qui porte son bébé dans la poche.

 

Magali entendit son papa l'appeler.

- Vite au dodo, ma chérie. Il est bien tard. Tu as pu regarder le feu d'artifice, mais maintenant il faut aller dormir. Déshabille-toi et mets-toi dans ton lit, je viens t'embrasser.

Magali ôta prudemment la salopette pour ne pas faire tomber son ami et la rangea sur sa chaise. Puis elle passa sa robe de nuit rose à petits rubans et se mit au lit.

-J'ai peur tout seul, dit le garçon. Ne me laisse pas sur la chaise, prends-moi près de toi.

Notre amie se releva. Elle l'emporta emballé dans la robe et la couverture, et le posa à côté d'elle, près de son oreiller.

Maman embrassa sa petite fille sans rien remarquer mais, quand papa fit son câlin à Magali, il lui demanda :

-Tu as une nouvelle poupée ?

-Non, répondit Magali. C'est un petit garçon.

-Ah bon, conclut papa. C'est ton amoureux, alors !

Magali rougit. Elle aimait bien son nouvel ami. Elle le trouvait très beau. Papa éteignit la lumière et referma la porte.

 

L'enfant du feu ne voulait pas fermer les yeux.

-Il faut dormir, à présent.

-Je n'ai pas envie de dormir, moi. Je veux faire la fête toute la nuit. Nous, les habitants du feu, nous ne passons pas la nuit à dormir. Nous dansons et nous nous amusons. La nuit est notre univers.

-Moi, je suis fatiguée, répondit notre amie en bâillant. Ecoute, je vais te chanter une petite chanson pour te faire venir le sommeil.

Tu la connais bien, toi qui écoutes mon histoire. Tu peux chanter avec Magali.

-Dodo, l'enfant do. L'enfant dormira bien vite.

Dodo, l'enfant do. L'enfant dormira bientôt.

Le petit garçon s'endormit et Magali également, en le regardant.

 

Le lendemain matin, très tôt, la fillette s'éveilla. Le petit bonhomme l'appelait. Le soleil n'était pas encore levé mais il faisait déjà un peu clair.

-Magali, Magali, réveille-toi.

Elle ouvrit les yeux et le regarda. Il se tenait debout sur le lit, près de son visage.

-Je dois retourner dans le feu. Je ne suis pas un enfant comme toi, un enfant de la terre, mais un enfant du feu. J'ai besoin des flammes pour vivre.

-Tu vas te brûler, là-dedans...

-Non, car je suis un enfant du feu, répéta le garçon en insistant.

-Je ne sais pas où en trouver un, murmura Magali.

-Moi, je crois le savoir. Il y en a un pas loin d'ici, car je sens l'odeur de la fumée. Toi pas?

Notre amie renifla.

-Mais oui. Cela sent le brûlé...

Elle se leva et courut regarder par la fenêtre. Le voisin, un vieux monsieur qu'elle connaît bien car c'est le bon-papa de son ami Adrien, faisait flamber des feuilles mortes et des branches au fond de son jardin.

-Bon, dit Magali. Je m'habille et on y va.

Elle passa vite sa salopette rouge et ses baskets, puis glissa son ami, toujours emballé dans sa robe de laine et sa couverture, au creux de sa poche sur son torse.

 

Magali sortit de sa chambre. Elle descendit les escaliers sans bruit, pour ne pas éveiller le bébé Julien son petit frère, ou Arnaud ou papa et maman. Elle traversa le jardin et passa à quatre pattes par un trou dans la haie. Elle se retrouva ainsi sur la pelouse du voisin. La rosée avait posé ses perles brillantes sur l'herbe et les fleurs. La fillette se redressa à moitié mouillée et les pieds trempés.

-Bonjour monsieur, dit-elle.

-Bonjour Magali, répondit le voisin. Tu es debout bien tôt ce matin !

-Oui, sourit notre amie.

-Tu viens voir mon feu?

-Oui, chuchota Magali.

-Tu peux le regarder, mais ne t'approche pas trop pour ne pas te brûler.

Elle se mit à genoux puis s'assit sur ses talons tout près des flammes et des braises. Le petit garçon se hissa hors de la poche de la salopette. II s'était glissé hors de la couverture, et avait ôté la robe de laine.

 

-Au revoir, Magali. Je retourne dans le royaume où je suis né.

-Tu dois vraiment partir ? murmura notre amie un peu triste de le voir s'en aller.

-Oui, répondit le petit garçon, parce que si je ne retourne pas dans le feu, je ne pourrai pas vivre. Je vais mourir.

-Je comprends, soupira Magali.

Elle posa l'enfant de l'étincelle sur son doigt et, l'approchant de sa bouche, elle lui donna un bisou sur le front.

Puis le garçon sauta dans le feu. La fillette le regarda. Il dansait sur les braises.

Tout à coup, elle ne le vit plus. Magali s'écria :

-Petit garçon, petit garçon ! Je ne sais même pas ton nom. Comment t'appelles-tu ?

Mais il n'était plus là. Il venait de disparaître dans les flammes jaunes et les braises rouges, son monde étrange, merveilleux, et chaud.

Magali sentit des larmes monter en elle et quelques perles d'eau coulèrent sur son visage.

 

Le voisin qui observait la fillette s'aperçut qu'elle pleurait. Il vint près d'elle, s'assit par terre, posa la petite fille sur ses genoux, et lui chuchota à l'oreille:

-Je ne veux pas que tu sois triste. Je vais te raconter une belle histoire.

Magali regardait les braises du feu.

-Il était une fois une petite fille qui observait un grand feu de bois. Elle y aperçut des étincelles. Tout à coup, sur une d'entre elles, elle vit ...

Mais Magali s'était endormie.

Le voisin se leva, et, portant la fillette dans les bras, il la reconduisit à sa maison. Il sonna.

Maman ouvrit la porte. Elle prit sa petite fille dans les bras à son tour et remercia le voisin pour sa gentillesse. Puis, elle installa Magali sur le fauteuil du salon. Notre amie dormit une heure au moins.

Laissons-la. Elle vient de retrouver le petit garçon au milieu de ses rêves.